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UN PHILOSOPHE SICILIEN[1].


Ce n’est pas un des moindres bienfaits de la révolution italienne que cette facilité donnée aux habitans des provinces les plus reculées du nouveau royaume de faire connaître leurs titres de gloire à leurs compatriotes, et même dans toute l’Europe aux esprits curieux. Jusqu’alors le désir d’une publicité qui franchît d’étroites frontières n’avait guère tenté des âmes abattues, amoindries par l’absolutisme. Imaginez le découragement qui devait s’emparer des écrivains et des professeurs, lorsqu’ils voyaient leurs paroles et leurs livres soumis à la censure, abrégés, corrigés par elle, perdant toute leur force, toute leur saveur primitive, et n’obtenant la permission, de se faire connaître qu’au prix de mutilations qui les rendaient peu dignes d’être connus ! Pour ne parler aujourd’hui que de la Sicile, elle se vante d’avoir des orateurs, des poètes, des historiens, des érudits, des philosophes, en un mot toute une littérature. Qu’en connaissent cependant l’Europe et l’Italie même ? Un nom, un seul a réussi à percer ces profondes ténèbres, celui du poète Meli, si original et si remarquable sous son doux parler sicilien, qu’il ne lui a manqué que d’écrire dans la langue commune de l’Italie pour être égalé aux plus illustres poètes de notre temps. Quelques personnes prononcent le nom de Rosario di Gregorio, savant et prudent historien qui, vers la fin du siècle dernier, exposait l’histoire de la Sicile dans des leçons publiques où toutes les puissances du monde étaient respectées à l’excès ; mais les Considérations sur l’histoire de la Sicile ne donnent qu’une faible idée du talent et des succès de ce professeur applaudi : l’autorisation ne lui fut accordée de publier ses leçons qu’à la condition d’en supprimer les parties trop vives, et l’investigation de la censure alla si loin dans le détail, qu’on raya, entre mille autres mots réputés dangereux, celui de notables, parce qu’on y voyait une allusion à l’assemblée qui ouvrit la révolution française.

La philosophie n’obtenait pas plus de faveur que l’histoire, et pourtant, jusqu’à une époque peu éloignée de la nôtre, les ecclésiastiques seuls osaient ou pouvaient s’occuper de ces matières. Il y avait, au XVIIIe siècle, à Monreale, dans cette malpropre, mais étrange et curieuse ville si pittoresquement perchée sur les dernières pentes de la montagne, au-dessus de Palerme, un groupe de philosophes que les Siciliens appellent avec emphase l’école de Monreale, nom déjà donné à une école de peinture dont, au XVIIe siècle, Pietro Novelli fut le chef. Scinà, l’abbé Rivarola, le chanoine Di Carlo et M. César Cantù ont plus ou moins longuement fait mention de cette philosophie sicilienne ; toutefois le chef dont elle s’honore, Vincenzo Miceli, ne figure même pas dans nos principaux catalogues bio-

  1. Il Miceli, ovvero Dell’ Ente uno e reale, dicdoghi tre, seguiti dallo Spécimen scientificum V. Micelii, non mai fin qui stampato, par Vincenzo di Giovanni. Palerme 1864.