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été closes ? Qu’on le demande à la récente encyclique de Pie IX ; elle répond fermement : non. Ainsi le traité même de Zurich n’eût rien terminé ; il eût, par un ajournement plus ou moins long, perpétué un déchirement moral qui n’a que trop duré, et la convention du 15 septembre, tant discutée en paroles, n’est susceptible que d’une seule interprétation sérieuse, qui est celle que les faits lui préparent.

Le gouvernement français n’a donc point capitulé devant le cercueil du comte de Cavour ; après avoir sauvegardé son intérêt le plus direct, il s’est abstenu pour le reste devant la nécessité. Cet homme d’état d’ailleurs, à qui quelques reproches peuvent être justement adressés, mais qu’on charge volontiers de tout, avait-il jamais songé à diriger à lui seul le cours de la destinée ? En pouvait-il avoir conçu la pensée ? Ses actes, ses discours, les renseignemens publiés sur sa vie intime et familière, montrent-ils en lui autre chose qu’un homme pratique, sans prétention grandiose ni subversive, un ouvrier politique habile et ingénieux, ne travaillant qu’avec les matériaux qu’il a sous la main ? Si cette époque décisive de l’Italie depuis 1852 est à lui, c’est seulement par la manière dont il l’a comprise, acceptée et dirigée ; mais il n’en est point le seul auteur. Loin de vouloir tirer les événemens de son fond et de s’échauffer aux initiatives hasardeuses, il avait reçu de la nature et développé par l’étude des sciences positives l’aptitude à voir les faits comme ils sont, à écarter les images confuses qui égarent la passion, et à se tenir toujours au plus près de la pratique en toute circonstance. De là, d’une part, une grande faculté de voir clair dans les situations et de toucher les questions à leur point juste, et de l’autre une tendance réaliste qui ne s’élevait pas au-dessus d’un certain niveau. Il dédaignait les problèmes philosophiques, avait peu de goût pour les arts, et se vantait même d’ignorer les langues de l’antiquité. Sa prédilection était pour les mathématiques ; l’économie politique était son fort. On sent tout cela dans ses discours parlementaires : vous y trouvez la méthode ou plutôt l’absence de méthode des orateurs anglais, de la diffusion, une simplicité monotone, plutôt de l’habileté que de l’art, plutôt de la solidité que de l’éloquence, plutôt de la hardiesse mesurée que de l’élévation ; mais moins il semblait orateur à la manière française, plus il apparaissait homme d’état, homme d’activité, compréhensif, ayant dans l’esprit tout à la fois beaucoup d’ensemble et une infinité de détails. Il tenait compte de tout et se pliait à tout : point de répugnances personnelles, ni de jalousie envers ses rivaux, ni de rancune ; il appelait au pouvoir M. Ratazzi qui l’avait vivement attaqué, se servait de Garibaldi qui l’injuriait. C’est parce qu’il était simple, parfois même indiscret, qu’on le croyait si rusé. « Je vais, disait-il, par les grands chemins, disant ce que je pense, » et à cause de cela même on lui supposait toute sorte d’arrière-pensées et de chemins de traverse. Aussi tous ses plans politiques n’annonçaient que l’intention constante de suivre pas à pas la marche des choses, de ne la presser