Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/267

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Piémont rencontrait immédiatement l’opposition de Rome. Qui ne se souvient des troubles, des excès, des représailles, des excommunications et des refus de sacremens, des exils d’évêques, de l’agitation croissante qui, à partir des lois Siccardi, ne cessèrent d’exaspérer les passions contraires et de placer ce pays entre une réaction soutenue par l’étranger et une révolution anarchique ? Que voulait pourtant le Piémont ? Un état ecclésiastique analogue à celui de la France. Que voulait Rome ? Un concordat dans l’esprit de celui qu’elle devait bientôt conclure avec l’Autriche. Pour comprendre le sens profond de cette lutte, il a fallu chez nous bien du temps il a fallu qu’une récente encyclique vînt l’expliquer en flétrissant comme une « peste » le libéralisme catholique et en désignant presque nominativement ses contagieux propagateurs ; mais le gouvernement du Piémont n’avait pas tardé si longtemps à comprendre qu’il y avait là une guerre de principes incompatibles. Il avait jugé, d’après l’expérience de bien des siècles, qu’en ces matières on n’obtient que ce qu’on peut prendre ; il ne se laissa donc pas leurrer par la temporisation romaine et fit ce qu’eût fait le premier consul, ce qu’est forcé de faire au Mexique en ce moment même l’empereur Maximilien.

Encore s’il ne s’était agi que de ces controverses intérieures ; mais il y avait bien autre chose. L’Autriche était alors dans cette période de réaction énergique qu’avait si vivement inaugurée le prince Schwarzenberg et que M. Bach continuait. Les dangers récens qu’elle avait courus chez elle-même, sa situation particulière en Italie, sa nature propre, qui lui imposait un pouvoir fort pour retenir les nationalités antipathiques qu’elle enserre, sa tradition non encore interrompue, qui l’investissait de la fonction de protéger l’ancien régime, tout cela l’associait alors plus que jamais à la politique romaine ; bien plus encore que sous Grégoire XVI, le système du pouvoir absolu était redevenu le lien réciproque de l’Autriche et de Rome. L’Autriche pesait donc sur le Piémont, dont les principes envahissaient ses états par toutes les voies invisibles de l’esprit, et la tenaient sous le coup d’une perpétuelle menace. Déjà par ses garnisons elle occupait les Marches, Ferrare, Plaisance, le duché de Modène, la Toscane ; par les traités, elle pouvait intervenir dans les duchés sans même qu’on l’y appelât ; elle dominait Naples par la même influence. Maîtresse de l’Italie, moins Rome occupée par les Français, elle serrait étroitement le Piémont le long des Apennins et sur la frontière lombarde. Le Piémont, avec sa foi libérale, se sentait donc déchiré au dedans par le principe absolutiste en même temps qu’il le voyait au dehors suspendu sur sa tête ; Rome en portait la doctrine, l’Autriche en tenait l’épée. Était-ce une raison pour que le petit royaume vaincu à Novare reniât le drapeau qu’il y avait porté ? Les idées qui l’avaient convaincu depuis si longtemps, que tant d’hommes distingués avaient écrites dans leurs livres, qui s’étaient gravées dans toutes les âmes, que Charles-Albert avait réalisées en partie, devaient-elles s’effacer