Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/260

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en définitive l’origine des scènes qui ont eu lieu récemment à Madrid, et qui ne sont en réalité que la manifestation d’une politique fort peu sûre d’elle-même. Il y a à Madrid un jeune professeur, M. Emilio Castelar, qui occupe une chaire à l’université depuis dix ans déjà. M. Emilio Castelar est un homme de savoir, d’imagination surtout et d’éloquence, qui professe avec succès ; mais il a le malheur d’être démocrate, et il a écrit récemment dans le journal la Democracia un article assez vif sur le don du patrimoine royal. C’est de là qu’est venue la guerre. Le ministère s’est ému de cet article et a voulu faire acte d’autorité. Il y avait cependant, ce nous semble, un système bien simple à suivre : déférer l’article aux tribunaux, si on le croyait punissable, et attendre l’arrêt de la justice. Point du tout : le ministère a voulu cumuler les moyens de répression ; il a déféré l’article aux tribunaux, et, sans plus de retard, il a mis le recteur de l’université en demeure de procéder académiquement à la suspension et à la révocation du professeur. Or il était au moins douteux que le conseil académique pût légalement prononcer sur un acte accompli en dehors de l’enseignement. Le recteur, M. Montalvan, qui est un homme estimé, s’est retranché dans une résistance passive. Mors le ministère a destitué le recteur pour arriver à la révocation de M. Castelar. Ce n’est pas tout. Les étudians ont voulu fêter par une sérénade le recteur destitué, et on leur a donné d’abord l’autorisation, puis on la leur a retirée. Il en est résulté que la foule s’est attroupée dans les rues, que les passions se sont animées, et tout cela un soir a fini par un déploiement imprévu de force publique, par une véritable chasse à coups de fusil qui a tué dix personnes et en a blessé cent soixante, sans qu’il y ait eu réellement autre chose que des cris et tout au plus quelques pierres lancées par la foule. Ce qu’il y a de curieux, c’est que quelques-unes des victimes sont des amis du gouvernement. Des sénateurs eux-mêmes ont été assaillis dans les rues et ont été obligés de chercher un refuge dans des lieux qui ne sont pas précisément des succursales du sénat. L’opinion s’est émue, on le conçoit, de cette exécution. sommaire, de ce sang versé, et les chambres n’ont fait que-répondre à cette émotion très réelle en évoquant ces événemens douloureux.

Voilà donc où en est arrivé le ministère, — à une répression sanglante fort peu motivée. Il a cru avoir devant lui une vaste conspiration, une révolution, et pour justifier un acte d’impatience, il est obligé de tenir encore le pays sous le poids de cette crainte d’une révolution. A part les malheureuses victimes qui sont tombées pour ne plus se relever, le plus blessé politiquement, sans nul doute, dans cette triste échauffourée, c’est le ministère lui-même, qui ne s’en relèvera probablement pas, qui reste dans tous les cas fort menacé. S’il n’avait pour se défendre que le nouveau ministre de l’instruction publique, M. Orovio, qui a succédé à M. Alcala Galiano, mort récemment, il n’irait pas bien loin. S’il n’avait que l’habileté financière de M. Castro, il serait encore fort en péril ; mais il a