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transformer une capitulation militaire en une réconciliation patriotique. La correspondance échangée durant quelques jours entre les généraux Grant et Lee sera une des belles pages de l’histoire. Quelle simplicité, quelle droiture, quels ménagemens discrets et attentifs pour l’honneur, d’un ennemi malheureux ! Quel empressement à reconnaître et à appeler à soi un digne concitoyen dans l’adversaire politique réduit à l’impuissance. Et dans cette générosité nul faste, nulle emphase, rien qu’une fermeté franche et sobre, un sentiment de respectueuse estime pour le vaincu. Jamais, dans l’histoire d’aucun peuple, victoire aussi dignement portée par le vainqueur n’avait mis fin à une guerre civile, et, sans rien enlever au général Grant du mérite qui lui appartient dans ce beau mouvement, la justice veut que l’on dise que le général n’a été dans cette circonstance que l’interprète heureux des sentimens du peuple américain. Jamais les Américains du nord n’ont porté dans cette guerre d’hostilité implacable contre leurs adversaires : Les Américains du nord ne voulaient point croire à la sincérité de la passion séparatiste du sud. Ils croyaient dans les premiers temps de la guerre que l’insurrection ne cachait qu’une manœuvre politique, et ils attendaient avec une naïveté curieuse le retour des rebelles à l’Union. C’est cette illusion, dont le mérite était du moins d’écarter les violences de la passion, qui, dans les premiers temps, a empêché le nord de faire des efforts proportionnés à la grandeur de la lutte. Même après que le nord se fut imposé tous les sacrifices que réclamait la grandeur de la guerre, l’ancienne illusion a contribué à y modérer les sentimens violons que la guerre fait naître. Aussi, quand nous ne pouvions prévoir les boucheries accomplies au théâtre de Washington et dans la maison de M. Seward, nous étions sûrs et nous annoncions ici que le nord étonnerait le monde par sa générosité envers les rebelles vaincus. La correspondance de Grant et de Lee commençait à nous donner raison ; nous ne cessons pas d’espérer qu’il ne sera point au pouvoir de quelques scélérats vulgaires de faire perdre à un peuple libre l’équilibre de sa raison et de sa magnanimité.

Devant les terribles scènes que les derniers courriers d’Amérique ont mises sous nos yeux, les petites affaires courantes dont s’occupe notre Europe paraissent bien mesquines et bien froides. Comment, en quittant les États-Unis, aurait-on le courage de s’occuper de l’affaire des duchés de l’Elbe et des prouesses de M. de Bismark ? Il faut entrer là dans l’infiniment petit d’un procès de mur mitoyen. Dans cette question, qui a passionné un grand peuple au point de lui faire commettre une injustice contre une nation faible, dans cette question où retentissait le mot sonore de nationalité, on en est venu maintenant à discuter et à définir avec la lenteur et les distinctions propres aux chancelleries allemandes les droits de co-possession ! Cette phase de la co-possession menace de durer longtemps et de fournir une longue étape aux desseins de lente invasion de la Prusse. Le gouvernement prussien envoie une escadre a Kiel. Grand émoi de tous côtés. Kiel