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intérêts esclavagistes. Le sud avait espéré entraîner le Tennessee dans la séparation ; mais M. Johnson, quoique ancien démocrate, voulut demeurer fidèle à l’Union, et contribua par sa vigueur à retenir dans la grande patrie l’état qu’il fut chargé de gouverner. Il n’est pas surprenant qu’un homme placé dans des conditions semblables ait amassé sur lui les haines des fauteurs de la séparation, et ait été chargé par eux des couleurs les plus noires. Le pouvoir, avec ses intuitions particulières, ses grâces d’état et le sentiment de responsabilité qu’il éveille dans les âmes honnêtes, ne peut manquer de modérer ce qu’il a pu y avoir jusqu’à présent d’excessif et de violent dans les opinions et le caractère de M. Andrew Johnson. Cette mâle créature de la démocratie hésitera sans doute à compromettre son honneur dans une politique brutale qui ferait de lui un indigne successeur de M. Lincoln. Quelles que soient au surplus les attributions d’un président des États-Unis, ce magistrat suprême est toujours contenu par les liens de patrie, par l’influence des membres de son cabinet et par le contrôle des chambres. L’Union a depuis quatre ans victorieusement traversé tant et de si regrettables accidens que nous comptons bien qu’elle subira avec non moins de bonheur l’épreuve de la transmission du pouvoir dans les circonstances actuelles.

Selon nous, une fois la part faite a l’émotion causée par le double meurtre qui a frappé M. Lincoln et M. Seward, la réflexion doit revenir sans désespoir à la situation créée par les derniers épisodes de la guerre. Quel beau spectacle les États-Unis donnaient au monde avant la diversion horrible tentée par l’assassinat politique ! Quelle noble fin couronnait la grande guerre de la Virginie ! Les deux armées avaient donné des preuves de vertus militaires dont la nation réconciliée avait le droit de s’enorgueillir. Les deux généraux en chef s’étaient montrés grands hommes de guerre. Lee avait épuisé tout ce que l’art et l’intrépidité peuvent fournir de ressources à une longue défense. Grant, après avoir essayé en vain toutes les impétuosités de l’attaque, avait demandé un succès moins rapide, mais plus certain, à la patience et à une résolution inflexible ; il avait dessiné cette vaste campagne qui faisait traverser le cœur de la confédération en démontrant l’inanité de ses ressources intérieures, et qui enlevait successivement aux séparatistes toutes les issues extérieures ; puis, l’heure venue de frapper le dernier coup, il avait manœuvré et combattu, il avait débordé son adversaire, et l’avait rejeté hors de Richmond et de Petersburg en lui faisant perdre la moitié de son armée. Reprenant la promptitude et la vigueur offensive qu’il avait montrées au début de la campagne, il avait atteint et débordé encore une fois l’ennemi dans sa retraite, et pouvait l’écraser dans un dernier combat. Alors, avec une générosité d’âme qu’on ne saurait trop louer, avec un admirable sentiment de l’opportunité politique, il était allé au-devant de Lee et lui avait offert de mettre bas les armes en des termes et à des conditions qui devaient impérieusement