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mier consul les avait inaugurées par un essai d’intimidation ; la ruse était venue plus tard. Ni l’intimidation ni la ruse ne lui avaient suffi pour se faire du premier coup cette part du lion qu’il aimait à s’attribuer en toutes choses. De là une légère humeur : mais ce qui était différé n’était pas perdu. Déjà même il préparait dans sa tête les moyens de reprendre, et au-delà, le terrain qu’il avait dû momentanément abandonner. Somme toute, il était content. Consalvi l’était aussi. Tous deux avaient raison, et le public en général partageait leur satisfaction. La sensation fut immense dans Paris et dans toute la France quand on apprit qu’un traité venait d’être signé sur les matières religieuses entre l’homme qui disposait des destinées de la république française et le chef de l’église de Rome. Quant à l’effet immédiat et pratique qui en résulta pour le plus grand bien de la religion catholique, il y a des appréciations exagérées et contraires dont il faut savoir également se garder. Le général Bonaparte avait trop embelli les choses lorsqu’une année auparavant il avait fait passer devant les yeux ravis des curés de Milan le tableau d’une France redevenue tout à coup chrétienne, et partout empressée à courir pieusement au-devant de ses anciens pasteurs rendus à son amour. Si de telles scènes avaient effectivement eu lieu dans quelques rares contrées, la vérité n’en était pas moins qu’il régnait en fait de cultes, dans la plupart des grandes villes, des chefs-lieux de départemens, des petites bourgades, et surtout dans les communes rurales de France, le plus inextricable désordre. Changemens continuels, obscurité intentionnelle dans la législation, contradiction évidente entre le droit reconnu à chaque individu de manifester sa croyance comme il l’entendait et le pouvoir remis aux autorités locales de réglementer l’exercice extérieur des cultes, c’était un dédale d’incohérences. Cependant, la liberté étant après tout le point de départ et le mouvement de retour vers les idées religieuses étant réel, sincère et doué à ce moment d’une vitalité singulière, le vieux culte national, le culte de l’église catholique, apostolique et romaine, celui que le concordat déclarait être le culte de la grande majorité des citoyens français, en avait profité plus qu’aucun autre, et ses ministres, rentrés de l’exil ou sortis des retraites où ils avaient dû cacher leurs têtes, s’étaient montrés partout à la hauteur de leur tâche. Ils n’avaient pas attendu la convention passée avec le pape pour reprendre leur mission. C’est donc calomnier presque ces saints prêtres, c’est leur enlever leurs plus beaux titres à la vénération publique, c’est méconnaître étrangement les faits que d’aller répéter aujourd’hui, en puisant des phrases toutes faites dans les harangues officielles du temps, qu’en signant le concordat, Bonaparte releva les autels