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ruines. Arrivés à la principale porte, dont quelques pans étaient encore debout, surmontant des monceaux de cendres et de pierres, nos pèlerins s’arrêtèrent avec un étonnement douloureux. Ils semblaient se demander si c’étaient bien là ces portes de Sion « que le Seigneur chérissait par-dessus tous les tabernacles de Jacob, » et contre lesquelles l’enfer ne devait point prévaloir ; mais ce moment de doute et d’anxiété ne dura pas. L’un d’eux, Jérôme vraisemblablement, répondant à leurs secrètes pensées, se hâta d’expliquer « qu’ils n’avaient sous les yeux que la Sion terrestre, passagère et périssable comme les hommes qui l’avaient faite, tandis que l’Écriture parlait de la Sion spirituelle, œuvre de Dieu, inaltérable comme son auteur. » Sur la plate-forme de la montagne, ils n’aperçurent que la désolation du désert. Plus de palais, plus de forteresse de David : le palais d’Hérode même avait disparu : la charrue avait passé sur leurs fondemens. A leur place s’étendaient des terres en friche et quelques jardins dont les clôtures étaient formées des débris de ces demeures royales. C’était la prophétie d’Isaïe réalisée : « la citrouille fleurira où resplendissait naguère le luxe des rois. » Des sept synagogues qu’avait renfermées Sion, il en restait une encore, mais déserte et délabrée. Seul debout au milieu de cette solitude, un monument de la foi nouvelle semblait braver les destructions du temps et des hommes : cette maison à deux étages où Jésus avait fait la pâque avec ses apôtres, et où, cinquante jours après sa résurrection, cent vingt disciples reçurent le Saint-Esprit, le Cénacle, comme on l’appelait, avait été transformé en église et attirait un grand concours de fidèles. Les voyageurs s’y rendirent, et purent voir au péristyle la colonne à laquelle, suivant la tradition, Jésus avait été flagellé : on y montrait même des gouttes de sang.

Descendirent-ils de Sion pour remonter à Moria et visiter ; après ! la cité de David, celle de Salomon et les ruines du temple ? On peut le supposer, quoique Jérôme n’en parle point, car c’était la tournée habituelle et en quelque sorte obligée des pèlerins. Ils purent alors contempler ces ruines recouvrant des ruines, et les deux statues d’Adrien dominant le saint des saints, comme le génie de la profanation. Les guides faisaient remarquer à un endroit situé entre l’autel et le parvis le sang du prêtre Zacharie, resté vermeil, dit l’Itinéraire de Bordeaux, comme s’il eût été versé le jour même. On montrait aussi une grande pierre percée que les Juifs venaient oindre chaque année et sur laquelle ils se lamentaient et déchiraient leurs vêtemens, droit qu’ils achetaient fort cher des magistrats de la ville. Entre autres curiosités recherchées des étrangers, on leur faisait visiter, dans les soubassemens de l’ancien temple, une prison souterraine où Salomon renfermait les démons et les torturait pour