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lui demande en badinant si la signature du concordat n’est pas le prélude de la cérémonie du sacre, il se contente de répondre : « Nous verrons, nous verrons. »

Avec ses plus intimes conseillers, il discutait l’affaire gravement, à fond et sous toutes ses faces ; mais ce sont les raisons d’intérêt pratique et d’utilité immédiate, ce sont les avantages à retirer d’une intime alliance avec la religion catholique qui tiennent évidemment le premier rang dans son esprit. Passant en revue, selon son habitude, les différens partis à prendre, il n’a point de peine à leur démontrer que ce serait une duperie de s’entendre avec les évêques et les prêtres constitutionnels. Leur influence est en baisse ; ils ne lui apporteraient aucune force. Tout au plus peut-on en menacer Consalvi. Se mettre à la tête d’une église séparée, se faire pape, lui, l’homme de guerre portant l’épée et les éperons, c’était tout simplement impossible. Voulait-on qu’il se rendit odieux comme Robespierre ou ridicule comme Laréveillère-Lepeaux ? Protestantiser la France ? On en parlait bien aisément. Tout n’était pas possible en France, quoi qu’on dît, et lui-même ne pouvait rien que dans le sens de ses aspirations véritables. Le catholicisme était la vieille religion du pays. Une moitié de la France au moins resterait catholique, et l’on aurait des querelles et des déchiremens interminables. Il fallait une religion au peuple ; il fallait que cette religion fut dans la main du gouvernement. « Cinquante évêques, disait-il, émigrés et soldés par l’Angleterre conduisent aujourd’hui le clergé français. Il faut détruire leur influence. L’autorité du pape est nécessaire pour cela. Il les destitue ou leur fait donner leur démission. On déclare que, la religion catholique étant celle de la majorité des Français, on doit en organiser l’exercice. Le premier consul nomme les cinquante évêques, le pape les institue. Il nomme les curés ; l’état les salarie. Ils prêtent serment ; on déporte les prêtres qui ne se soumettent pas, et l’on défère aux supérieurs ceux qui prêchent contre le gouvernement… Après tout, les gens éclairés ne se soulèveront pas contre le catholicisme : ils sont indifférens. Je m’épargne donc de grandes contrariétés dans l’intérieur, et je puis par le moyen du pape au dehors… Mais là il s’arrêta court[1]. »

Telle était bien en effet, expliquée dans le bref et vif langage du premier consul, toute l’économie du concordat que l’abbé Bernier venait d’être enfin autorisé à signer avec le cardinal Consalvi. On voit ici, par son propre témoignage, quelle satisfaction cette importante transaction donnait dans le présent au nouveau chef du gou-

  1. Mémoires sur le Consulat, par un ancien conseiller d’état (Thibaudeau).