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quitter Rome, si dans cinq jours le concordat projeté à Paris n’était pas agréé par le pape. Le ministre de France fut en même temps chargé d’avenir le saint-père qu’une plus longue persistance dans les moyens dilatoires produirait de déplorables conséquences autant pour la religion que pour la domination temporelle. Et de peur que la portée de cette dernière menace ne fût pas suffisamment saisie à Rome, les instructions de M. Cacault l’obligeaient à se rendre à Florence auprès du général Murat, commandant en chef de l’armée d’Italie.

Qu’on s’imagine l’effet produit par cette terrible mise en demeure. Une bombe éclatant dans le sanctuaire n’aurait pas causé plus d’effroi à Pie VII. Il s’était cru à la veille de la paix, puis tout à coup, du jour au lendemain, voici la guerre et toutes ses horreurs. Dans le camp des révolutionnaires romains, l’émotion aussi était extrême, mais toute à la joie et à l’espérance. Bonaparte allait donc rompre avec le saint-siège, comme avait fait naguère le directoire. Les soldats français ne pouvaient manquer de bientôt reparaître, et l’on verrait revenir avec eux les beaux jours de la république romaine. Seul, le ministre de France sut garder au milieu de cette épreuve toute sa présence d’esprit, et sa conduite judicieuse fit assez connaître quel immense service un agent habile et courageux peut à l’occasion, sans s’écarter de la ligne du devoir, rendre à son gouvernement qui s’égare. M. Cacault, en demandant officiellement ses passeports, comme il en avait reçu l’ordre, ne chercha même pas à persuader à Pie VII de céder au premier consul. Il le savait résolu à supporter n’importe quelle calomnie, y compris même. la perte de sa souveraineté temporelle, qu’on avait menacée d’une manière expresse. Il sentait parfaitement que, sommé aussi brutalement, le saint-père ne pouvait céder sans compromettre non-seulement sa dignité personnelle, mais la cause même de l’église. Voici le biais ingénieux dont s’était avisé M. Cacault, et qu’il développa successivement à Consalvi et à Pie VII dans un langage plein de bon sens, d’esprit et de verve originale. Ses ordres étaient formels ; il lui fallait donc quitter Rome. Nul doute que son départ ne fournit, aux malintentionnés un prétexte de troubles et peut-être de révolution. Là était le danger. Il y avait pourtant un moyen de le conjurer. Il fallait que le cardinal Consalvi, partant pour Paris, montât dans la même voiture qui allait le conduire lui-même à Florence. A voir ainsi voyager ensemble le secrétaire d’état de sa sainteté et le ministre de France, les gens des clubs comprendraient que les deux gouvernemens n’étaient pas, après tout, si fort brouillés ensemble. L’action personnelle et directe de Consalvi sur le premier consul était chose indispensable, car rien