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tenir les espérances et à prévenir les défections. À ces rares qualités, l’abbé Bernier joignait toutefois de fâcheux défauts : ses ennemis lui reprochaient d’être ambitieux, défiant, difficile à vivre, et de vouloir à tout prix dominer partout. Il avait joué un rôle funeste dans les querelles intérieures qui n’avaient point tardé à diviser entre eux les chefs de l’insurrection. L’obscurité de sa naissance et ses inclinations personnelles avaient naturellement porté le curé du pauvre village de Saint-Laud à rechercher la sympathie des classes inférieures de la Vendée de préférence à la faveur des gentilshommes qui leur servaient de commandans. Aux yeux de ces derniers, il passait pour être mécontent et jaloux de leur influence. Cependant, comme son concours était indispensable, ils n’avaient point cessé d’employer sa prodigieuse activité tantôt à organiser autant que possible l’administration des divers corps de l’armée royaliste, tantôt à écrire leurs proclamations, le plus souvent à correspondre avec les princes émigrés et leurs partisans à l’étranger. Bernier était l’homme de plume du parti, son conseiller principal, son unique diplomate, partant possesseur de tous ses secrets. Après la mort des La Rochejaquelein et des Lescure, lorsque la Vendée se souleva sous l’impulsion combinée de Charette, de Bertrand de Marigny et de Stofflet, l’importance personnelle de Bernier grandit encore. Il chercha à devenir le chef de ce triumvirat. Charette, à qui le curé de Saint-Laud offrit ses services, s’attira sa haine pour les avoir refusés. Les allures indépendantes et quasi féodales de Marigny lui avaient toujours répugné ; mais il parvint à se rendre maître absolu de l’esprit du garde-chasse Stofflet. D’après les témoignages du temps, ce fut lui qui, par ses obsessions, arracha au tribunal militaire la condamnation à mort de Marigny et plus tard au malheureux Stofflet l’ordre de le fusiller. Lorsque cette dernière prise d’armes de la Vendée expirante eut définitivement échoué, Bernier, pendant quelque temps, se tint à peu près tranquille. Il ne voulut s’associer en aucune façon au mouvement de 1799. Bien avant cette époque, on l’avait déjà vu entrer en pourparlers avec le général Hoche, et celui-ci, sans montrer beaucoup d’estime pour le curé de Saint-Laud, sembla dès lors, fonder les plus grandes espérances sur son intervention[1]

Cette conduits d’un homme qui, lassé de la guerre civile, cherche non-seulement à s’en retirer, mais à pacifier les contrées qu’il a contribué à jeter dans les voies de la résistance année, n’a rien en soi

  1.  »… L’abbé Bernier est un prêtre comme il nous en faudrait vingt ici. Il juge les choses de haut, et n’a pas l’air de tenir beaucoup au parti royaliste, qui s’en va… Dans une circonstance difficile, je pense que le gouvernement pourrait compter sur son ambition encore plus que sur son zèle. » (Lettre de Hoche, décembre 1795.)