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sidérable dans cette affaire qu’il devient nécessaire de dire un mot de ses antécédens.

Bonaparte avait fait la connaissance de l’abbé Dernier, curé de Saint-Laud, avant sa dernière campagne d’Italie, à l’époque où, pour la mieux préparer, il s’était efforcé de pacifier les provinces de l’ouest. Déjà nous avons eu l’occasion d’expliquer comment, après le 18 brumaire, la direction donnée à la guerre civile avait été profondément modifiée par le premier consul. Nous avons cité ses proclamations pleines de respect pour la religion si chère aux populations de la Vendée et les instructions adressées aux généraux Brune et d’Hédouville, afin de leur recommander de se ménager la faveur du clergé catholique, tout-puissant dans ces contrées. Ce plan si sage remontait à une date déjà ancienne. Avant d’être mis à exécution par Bonaparte, il avait déjà été secrètement élaboré, mais sans beaucoup d’espérance, au fond de la Bretagne, entre l’abbé Bernier et quelques obscurs commissaires de la république française. L’avènement au pouvoir d’un homme aussi maître de l’opinion que l’était alors le premier consul le rendait désormais praticable. Aussi, dès que Bonaparte fut installé aux Tuileries, l’habile curé de Saint-Laud eut soin de faire partout répéter que le moment était venu d’agir, et que, si l’on s’adressait à lui, il répondait de tout[1].

L’abbé Bernier, en donnant cette assurance, n’exagérait en rien l’étendue réelle de son action sur ses compatriotes de l’ouest. Dès le début de l’insurrection vendéenne, cette action avait été prépondérante. Autant que les appels aux armes de leurs seigneurs, les pieuses prédications du simple curé de Saint Laud avaient contribué à soulever de toutes parts les paysans du Bocage. Aux jours de bataille, sa parole vive et toute populaire avait, plus que celle d’aucun de leurs chefs les plus aimés, servi à exalter les courages. Quand, après les premiers triomphes, était venus l’heure des revers, il n’avait pas montré moins de résolution et d’habileté. C’était lui qui, par ses vigoureuses exhortations, par ses démarches infatigables, mais surtout en prêchant d’exemple, avait le plus contribué à sou-

  1.  »… Faites entendre sous main que je puis beaucoup dans le revirement qui se prépare. Je suis disposé à seconder les vues du nouveau gouvernement. Parlez et faites parler, afin que mon nom retentisse. Les difficultés ne sont pas aussi insurmontables qu’on semble le croire. J’ai la confiance des paysans que je n’ai pas compromis dans cette dernière tentative ; celle des chefs ne me fera pas défaut. Qu’on me fasse des propositions, qu’on vienne à moi, car vous sentez bien que je veux avoir la main forcée ; c’est même dans l’intérêt du gouvernement. Agissez donc comme si nous étions totalement inconnus l’un à l’autre. Une fois entré en pourparlers, vous verrez comme je mènerai la barque. » (Lettre de l’abbé Bernier à Martin Duboys, l’un de ses agens à Paris, 3 décembre 1799.)