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satisfaire. Quelle a été la part de l’impulsion involontaire, irréfléchie, désintéressée, et quelle la part du calcul personnel, des considérations humaines et des visées purement égoïstes ? Cela regarde uniquement leur conscience, et l’affaire est à régler devant un tribunal plus infaillible que celui de l’histoire. Comment et par quels degrés s’opère la transformation ? C’est le droit et l’intérêt des contemporains d’y regarder de très près, et c’est notre devoir après eux de tâcher de nous en rendre un compte aussi exact que possible. Napoléon, le plus grand homme des temps modernes, en compromis, puis aux prises avec la religion, la plus grande chose de tous les temps, voilà un spectacle qui vaut la peine qu’on s’y arrête.

L’allocution adressée aux curés de Milan huit jours avant Marengo avait été imprimée et distribuée à profusion dans toutes les villes du Piémont et de la Lombardie. On peut, sans s’avancer beaucoup, supposer que plusieurs exemplaires durent prendre, comme d’eux-mêmes, le chemin de Rome. Hors les phrases gracieuses prononcées à l’endroit du nouveau pontife, le premier consul n’avait encore tenté aucune ouverture de ce côté. Après la conclusion de l’armistice qui lui livrait tout le nord de l’Italie, il fit un pas de plus. Le cardinal Martiniana, avec lequel il s’était entretenu à son passage à Verceil, fut chargé de faire savoir au saint-père que le chef des armées françaises désirait entrer en négociations pour arranger les affaires religieuses de la France, et qu’à cet effet il demandait que Pie VII envoyât à Turin Mgr Spina, archevêque in partibus de Corinthe. Bonaparte, à son retour d’Égypte, débarquant à Fréjus pour se rendre à Paris, avait passé par Valence et entrevu ce prélat, qui était resté près de Pie VI jusqu’au moment de sa mort. Cette rencontre fortuite paraît avoir seule décidé en cette circonstance la préférence du général français. Quoi qu’il en soit, la cour de Rome n’hésita point. Elle s’était tenue jusque-là dans la plus grande réserve. « Le pape, dit Consalvi, se confiant à la Providence et résigné à toutes ses volontés, attendait les événemens, sans daigner faire une seule démarche pour pénétrer les intentions du vainqueur à son égard. » Néanmoins, après avoir reçu avec autant de surprise que de joie cette communication inattendue, le saint-père ne balança pas à répondre « à une demande qui avait pour objet de rétablir les affaires de la religion dans un pays où l’esprit révolutionnaire l’avait presque étouffée. » Mgr Spina fut donc dirigé sur Turin avec ordre d’entendre et de rapporter, con ordine di sentir e di riferire ; mais déjà le vainqueur de Marengo n’était plus à Turin : il ne s’y était arrêté qu’un jour à peine, et tout de suite avait repris la route du Mont-Cenis. Au