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tôt loin, bien loin en avant, un autre personnage qui n’a plus les yeux fixés que sur les futurs contingens d’une mystérieuse destinée. Chose plus étrange encore, quand on pence qu’il s’agit de ce passé maître dans la connaissance des hommes, des choses de ce bas monde, et dans l’art de s’en servir, si un conflit s’élève entre ces deux génies opposés qui semblent s’être disputé sa vie entière, c’est toujours au second que de préférence il obéira. Dans cette circonstance, point de supposition gratuite. Parcourez, si vous en doutez, les pièces nombreuses qui se succèdent aussitôt après la violente exécution opérée à main armée le 18 brumaire contre les corps constitués de l’état, vous y verrez percer à chaque page chez le premier consul une constante préoccupation, celle d’aller frapper quelque part au dehors sur les ennemis de la pairie un coup non moins retentissant que celui qu’il vient de porter au dedans contre ses adversaires. Il lui faut à tout prix faire prochainement consacrer par l’admiration des uns et par la crainte de tous les autres la situation nouvellement conquise. C’est ainsi qu’absorbé en apparence par les soins multiples que semble réclamer de lui la mise en œuvre de la constitution passablement compliquée de l’an VIII, il n’en prépare pas moins avec une fiévreuse ardeur et une prédilection bien marquée tous les élémens de sa prochaine campagne d’Italie. A peine les a-t-il tous réunis sous sa main, à peine les Alpes sont-elles franchies et Milan envahi, que, sur désormais de son succès, vainqueur par avance de Mélas et déjà maître en idée de l’Italie, son esprit passe de nouveau les monts et revole vers Paris. C’est des affaires de France qu’il est surtout occupé. La partie commencée n’est pas encore finie qu’il se hâte d’en reprendre une autre. Les bénéfices de celle qu’il est en train de gagner formeront l’enjeu de celle qu’il brûle d’entamer, et les trophées de Marengo, destinés à légitimer le consulat à temps, n’auront tout leur prix que s’ils jalonnent la route qui doit conduire au consulat à vie et à l’empire.

Ne soyons pas trop surpris, ni surtout scandalisés, si nous voyons le premier consul, frappé de l’utilité du concours que lui ont prêté, moyennant certaines avances, le clergé et les catholiques italiens, songer aussitôt au grand profit qu’en France il pourra tirer d’une semblable alliance pour mener à bien l’entreprise nouvelle, dont le succès ne lui importe pas mains actuellement que tout à l’heure la défaite des Autrichiens. C’est une puérilité et une injustice de reprocher aux ambitieux la satisfaction intéressée qu’ils s’efforcent de donner aux aspirations légitimes des peuples dont ils recherchent les suffrage. A vrai dire, il est bien rare qu’à un moment donné, ces génies soi-disant impassibles n’aient point ressenti eux-mêmes la bienfaisante action des sentimens généreux qu’ils ont excellé à