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Chose singulière de la part de quelqu’un si habile à charmer et si propre à manier les hommes, Consalvi s’était obstinément appliqué jusqu’alors à décliner toute charge entraînant la moindre responsabilité. Parmi les signes de plus en plus marqués de la faveur du souverain pontife, aucun ne l’avait tant flatté que l’assurance, donnée en badinant par Pie VI, qu’il l’emploierait toujours al tavolino, e non in bottega¸ c’est-à-dire qu’il se proposait de l’engager exclusivement dans la carrière des emplois de bureau ou de magistrature, mais non point dans celle des affaires d’état et de l’administration proprement dite. Pie VI s’était pourtant trop avancé, et les nécessités du temps l’obligèrent bientôt à conférer à Consalvi épouvanté la redoutable mission de remplacer le président des armes ; autrement dit, le pauvre auditeur de rote était, sous le nom de prélat-assesseur à la congrégation militaire, inopinément transformé en ministre de la guerre, et cela en 1796, c’est-à-dire à la veille du jour où les troupes de Bonaparte allaient envahir le territoire pontifical. Consalvi se trouvait entrer en fonctions juste après la signature du traité de Tolentino, qui coûtait 30 millions au saint-père. A lui revenait cette besogne, la plus ordinaire, mais non la plus facile pour le chef des armées papales, d’avoir à licencier les troupes qu’on n’avait même pas encore achevé d’organiser.

A peine y avait-il réussi qu’une plus lourde responsabilité venait s’abattre sur sa tête. Le meurtre du général français Duphot, suscité par ses imprudentes excitations contre le gouvernement papal, provoqua toutes les colères du directoire et servit de prétexte à l’occupation militaire de la ville éternelle. Berthier dirigeait l’expédition. Naturellement les affiliés des clubs romains lui désignèrent le prélat assesseur de la congrégation des armes comme le plus dangereux des réactionnaires, et Consalvi fut, à ce titre, enfermé sous bonne garde au château Saint-Ange. Cette précaution ne fut pas encore jugée suffisante ; au bout de deux mois, l’ordre arriva de Paris d’expédier au plus vite à Civita-Vecchia le chef des anciennes armées papales et de le faire embarquer sans délai pour Cayenne avec quelques cardinaux et prélats également suspects. A Civita-Vecchia, il se trouva toutefois qu’il ne s’agissait plus de Cayenne, mais seulement d’être transporté hors du territoire romain avec défense d’y rentrer sous peine de mort. Toute l’ambition de Consalvi était de se rendre le plus tôt possible auprès de Pie VI, récemment enlevé de ses états et depuis lors étroitement gardé dans la chartreuse de Florence. Il demanda instamment à être conduit à Livourne. Cependant à cette première mention de Cayenne ses amis de Rome, et Dieu sait s’ils étaient nombreux, avaient été pris d’une terrible frayeur. Grâce à leurs prières, bien contraires à ses