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réciproque des frontières de tous les pays par la levée des prohibitions et des droits prohibitifs, c’est en un mot le commerce se répandant vers toutes les directions. Faut-il recourir à la statistique pour démontrer que, dans cet épanouissement de la concurrence, chaque peuple a gagné ? Nous savons ce qui s’est passé en France depuis cinq ans. Les relations avec l’étranger ont pris un développement tel qu’on n’en avait jamais constaté de pareil à aucune période. Contrairement aux appréhensions qui, au début, pouvaient sembler légitimes, la richesse industrielle du pays s’est notablement accrue. Il en a été de même dans les contrées qui ont adopté notre politique. C’est là un fait général qui ne souffre point de contestation sérieuse, et sur lequel il serait vraiment superflu d’insister.

Enfin, quand on recherche à quelle influence peut être attribuée la législation qui régit désormais le commerce international, on observe que la plus grande part de cette évolution économique procède de l’influence française. Si l’Angleterre revendique à bon droit l’honneur de l’initiative en matière de réformes commerciales, si, par l’autorité de son exemple et de ses lois, elle a prêché la première les doctrines de l’échange universel, il est permis de dire que jusqu’au moment où le gouvernement français se décida à négocier le traité de 1860, elle avait fait dans le monde peu de conversions et recruté un bien petit nombre de prosélytes. On la laissait pratiquer à l’aise son libre échange, on profitait de l’hospitalité qu’elle accordait aux produits de l’étranger ; mais les nations manufacturières, qui n’avaient presque rien à obtenir d’elle, se gardaient bien de lui offrir ou de lui concéder des facilités de commerce qui eussent favorisé la concurrence britannique. Le gouvernement anglais s’était désarmé pour l’amour du principe, et, convaincu que ce principe ne devait fléchir devant aucune considération, il s’abstenait systématiquement d’exercer des représailles contre les peuples qui continuaient à lui opposer le régime des prohibitions. La situation de la France était toute différente. On a vu que, pour arriver à la réforme douanière, le gouvernement, certain d’éprouver une invincible résistance en s’adressant aux chambres, avait pris en quelque sorte un chemin de traverse, et que, par une échappée tout à fait inattendue, il avait, au moyen du traité de 1860, abaissé le tarif du côté de l’Angleterre[1]. Ce premier traité fut entre ses mains un instrument à l’aide duquel il obligea les autres peuples à passer à leur tour sous les fourches caudines de la réforme, sous peine d’être privés des avantages dont l’Angleterre venait d’être

  1. Dans L’introduction d’un ouvrage estimable et utile à consulter sur les Traités de commerce, M. Paul Boiteau a retracé l’historique très curieux des incidens et des négociations qui ont amené le traité de 1860.