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système protecteur, et destiné à parcourir une si longue carrière. Il serait vraiment téméraire, après deux siècles écoulés, de critiquer la pensée et les actes d’un grand ministre dont le nom rappelle les services les plus éclatans rendus à l’industrie et au commerce de la France. Il y a, ce nous semble, autant de présomption que d’ingratitude à reprocher à Colbert ce que l’on appelle son erreur économique. Il avait apparemment de bonnes et solides raisons pour adopter la politique commerciale qu’il a suivie : l’état relativement prospère dans lequel il a placé l’industrie française le justifie pleinement aux yeux de l’histoire, et permet de ne point accepter pour lui le bénéfice des circonstances atténuantes que les adversaires modernes de son système consentiraient à lui accorder. Quoi qu’il en soit, on comprend que les négociations commerciales avec l’étranger devenaient de plus en plus difficiles du moment que l’intérêt du fisc, s’opposant aux réductions de tarifs, avait pour auxiliaire l’intérêt manufacturier. Aussi, dans les traités ou conventions de commerce qui se négociaient sous l’influence du régime protecteur, chacune des deux parties s’attachait-elle à ne concéder que des faveurs insignifiantes ou illusoires. Pour ce qui concernait les produits industriels, l’habileté du négociateur consistait à paraître abaisser plutôt qu’à abaisser réellement les barrières de douanes : les droits conventionnels, avec leurs chiffres atténués, étaient le plus souvent calculés de manière à ne point ouvrir un large accès aux produits du dehors. Seul le traité conclu en 1786 entre la France et l’Angleterre fit exception à ce mode de procéder par le libéralisme sincère qui inspira ses dispositions : le germe de la liberté des échanges entre deux grandes nations manufacturières était déposé dans cette convention mémorable ; mais on sait ce qui advint. Les intérêts jusqu’alors privilégiés, tant en France qu’en Angleterre, se mirent en révolte contre cette première apparition de la concurrence. Les jalousies nationales se réveillèrent plus vives que jamais. Chacun des deux peuples se crut trahi par ses négociateurs. Le nom de M. Eden fut voué à l’exécration en Angleterre comme celui de M. de Rayneval en France, et le traité, qui n’avait fait de part et d’autre que des mécontens, fut déchiré par la déclaration de guerre de 1793. Le souvenir de cet acte diplomatique, intervenu dans les circonstances les plus défavorables, devait peser longtemps sur la politique commerciale des deux peuples.

La république, en guerre avec l’Europe, considérait les marchandises étrangères comme des produits de l’ennemi, et à ce titre elle les repoussait des frontières. L’empire établit le blocus continental. Par conséquent il n’y a point à s’occuper de ce que pouvaient être sous ces deux régimes les actes diplomatiques concernant les rap-