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On raconte qu’au mois de juin 1820, le jour où le vote de la chambre des députés venait d’arrêter les bases d’un système électoral opposé comme une digue aux progrès du libéralisme, M. de Serre rentrait à la chancellerie, épuisé par les fatigues de plusieurs journées de tribune et comme insensible à la victoire que lui seul avait pu remporter. Autour de lui, on était tout à l’espérance, on le félicitait dans la joie du triomphe, et lui, il se taisait dans un morne abattement. Enfin rompant un long silence : « Oui, dit-il, nous venons de donner aux Bourbons dix ans de répit. » Son triste regard voyait dans l’avenir la marée montante de l’opinion nationale et peut-être ce flot de la démocratie qui grondait au loin. Ses paroles se sont accomplies avec la précision d’un oracle. Dix ans après, l’antagonisme qui opposait le passé au présent, la légitimité à la révolution, la royauté à la nation, devait tristement aboutir à une incompatibilité déclarée. En portant la main sur la charte, le roi Charles X ajouta l’injure grave à l’incompatibilité. Ce sont là, suivant les lois, des causes de divorce, et le divorce fut prononcé.

Nous ne voulons, en rappelant ces souvenirs, que constater un fait douloureux : c’est qu’en 1820, en plein règne des lois, en pleine prospérité, au sein d’une liberté relative, la France, pourvue des instrumens nécessaires de perfectionnement et de réforme, n’offrait pas les élémens d’un gouvernement calme et durable ; à quelque pouvoir, à quelque parti, à quelque système que l’on s’adressât, on se heurtait a des difficultés peut-être invincibles, on avait dix chances d’échouer pour une de réussir. Le mal apparemment devait venir de l’état des esprits. Il faut beaucoup imputer à des erreurs, à des travers, à des passions, que ne saurait ménager l’histoire. On ne peut donc, en étudiant cette époque, porter trop d’attention, de pénétration, de franchise dans la recherche des causes de cette sorte d’impuissance nationale qui ajourna encore cette fois le succès définitif de la révolution française. Et ce n’est pas la seule occasion où la France ait paru se faillir à soi-même, et où l’on ait pu douter que ce qui était nécessaire fût possible.


III

Ces réflexions paraîtront-elles du pessimisme ? Cependant, lorsqu’un gouvernement ou un peuple n’a pas réussi, il n’y a pas de malveillance à demander pourquoi. Quelques pages de notre histoire sont douloureuses à lire ; mais la douleur n’est pas du découragement. Lorsque M. Duvergier de Hauranne nous déroule avec tant de vérité la longue série des essais, des progrès, des retours du régime politique à l’établissement duquel il a consacré tous les