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Mais à l’époque dont nous parlons ici, après 1820, une intrigue de famille, un complot de cour et de faction avait arraché au roi le seul conseiller qu’il aimât, et la sagesse hésitante d’un vieux prince affaibli et désolé allait flotter à l’aventure, si quelque puissance nouvelle ne s’emparait de lui. Il en survint une en effet, qu’on ne sait comment, qualifier, et qu’il vaut mieux désigner par allusion, sans prononcer aucun nom. Un ouvrage très peu lu, mais d’une étrange naïveté, les Mémoires du duc de La Rochefoucauld Doudeauville, contient sur les influences occultes qui ont dominé les trois dernières années de Louis XVIII des révélations qui dépassent tous les soupçons du public contemporain. Nous ne nous doutions pas alors des menées intérieures qui ballottaient sans cesse le gouvernement : l’opinion, si hostile et quelquefois si injuste pour la famille royale, ignorait les misères véritables de cette cour dont elle pensait tant de mal ; mais de ce qu’on supposait et de ce que l’on connaît aujourd’hui il résulte qu’il n’y avait plus rien de durable à espérer de la sagesse du monarque. Son frère tenait dans sa main le sort du ministère. La chute du duc de Richelieu fut comme une anticipation du règne de l’héritier du trône, et une notoriété pour ainsi dire prophétique présentait comme prédestiné à perdre sa couronne et sa race le prince aimable et bon qui devait s’appeler Charles X.

Ainsi point d’espérances du côté de la royauté ni de la dynastie. Y avait-il plus à compter sur les partis ? Alors, comme toujours peut-être, il en existait trois, le côté droit, le côté gauche, et entre deux le centre. Chaque parti se subdivisait en deux. Chaque côté avait sa pointe, une extrême droite, une extrême gauche, et le centre se scindait en centre gauche et en centre droit. Où donc placer, où chercher le gouvernement ? Au moment dont je parle, aucun parti n’était capable de gouverner longtemps.

Le côté gauche tendait à devenir le plus fort. C’est parce qu’on craignait qu’il ne le devînt en effet que la réaction de 1820 avait éclaté ; lui-même se croyait déjà maître de l’opinion, et si c’était une illusion, elle était bien permise, puisqu’en changeant la loi des élections, ses adversaires avouaient que, livrés à eux-mêmes, les cent mille plus imposés de France lui donnaient la majorité. Il n’était pas question alors de la démocratie, ou plutôt il en était beaucoup question ; mais c’était à cette aristocratie bourgeoise, à cette élite de l’ancien tiers-état qu’on donnait ce nom. C’était là ce torrent qui, coulant à pleins bords dans de faibles digues qui le contiennent à peine, effrayait M. de Serre ; mais ceux vers lesquels le portait son cours paraissaient peu capables de le diriger. Il faut se rappeler quelles circonstances avaient développé la force du côté gauche : par une erreur qui peut étonner aujourd’hui, mais si natu-