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les natifs, il résolut de profiter de la belle saison pour explorer avec soin la baie de Frobisher et en particulier les îles où se trouvaient encore, au dire des indigènes, des traces d’une occupation temporaire par les hommes blancs. Déjà habitué à la façon de vivre des Esquimaux, dont il s’était concilié la bienveillance par des présens, sachant se contenter de leur nourriture de chair crue, s’accommoder de leur existence imprévoyante, soigneux de ne contrarier ni leurs coutumes ni leurs préjugés, il était en état de voyager avec eux, et, grâce à une étude assidue de leur langue, de les comprendre et d’être compris par eux sans interprète. Le voyage ne devait pas au reste être bien pénible, car la saison était belle, les glaces avaient disparu, et la mer n’est jamais bien mauvaise dans l’intérieur des baies profondes. Il put donc se mettre en route pour une excursion de deux mois avec un mauvais bateau qui lui avait été laissé et un équipage composé de trois indigènes et leurs femmes. Les provisions de vivres étaient courtes ; la chasse devait pourvoir à la nourriture journalière. En été, les phoques et les morses se montrent en abondance, il ne faut que savoir les prendre. Les canards apparaissent en troupes innombrables qui à certains momens obscurcissent le ciel. Les rennes ne sont pas rares et fournissent, pour changer un peu de régime, une venaison excellente. On aperçoit même parfois des ours blancs dont la chair grasse et succulente peut être comparée avec avantage aux meilleures viandes de bœuf. Sans compter quelques petits oiseaux qu’on ne s’amuse guère à tirer, parce qu’il faut être ménager de sa poudre et qu’ils sont trop petits pour valoir le coup de fusil qu’on leur adresserait, on trouve encore sur la terre une certaine herbe nutritive qui, crue ou bouillie, remplit assez bien l’estomac les jours où la chasse a été malheureuse. Bref, cette contrée, si désolée en hiver que les habitans sont souvent réduits à jeûner plusieurs jours de suite et y meurent presque de faim, regorge de biens en été. Seulement la mer est le principe de toute cette abondance, et l’on ne saurait s’éloigner du rivage et pénétrer au loin dans l’intérieur des terres sans s’exposer à périr d’inanition.

M. Hall se mit donc en route avec l’intention de pénétrer jusqu’au fond de la baie de Frobisher et de vérifier par lui-même si cette nappe d’eau est réellement une baie, ainsi que l’affirmaient les indigènes, et non point un détroit, comme l’indiquaient jusqu’alors toutes les cartes géographiques. Il se réjouissait de parcourir des contrées qu’aucun homme de sa race n’avait encore visitées, plaisir facile en ces régions inhabitées, et de faire flotter le pavillon national des États-Unis sur un rivage dont aucune nation n’avait encore pris possession. Tous les explorateurs de pays inconnus,