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seule pénible, M. Hall eut bientôt l’occasion de se familiariser davantage avec l’existence des indigènes. Jusqu’à ce moment, le navire avait été à l’ancre au milieu de la baie, qui était encore libre de glaces, et l’on ne pouvait communiquer avec la côte que par bateau ; mais le 19 novembre la surface de la baie était entièrement gelée. Le thermomètre marquait déjà 15 degrés centigrades au dessous de zéro. Cependant la glace n’était pas assez solide pou qu’on pût passer dessus. Pendant quelques jours, il y eut des alternatives de gelée et de dégel selon la direction du vent, qui venait tantôt du sud, tantôt du nord ; on ne pouvait sortir du bâtiment d’aucune manière, ni à pied sec ni en bateau, par crainte des glaçons flottans. Enfin le 6 décembre la mer était complètement prise, et le George Henry se trouvait enfermé au milieu des glaces pour une période de huit à neuf mois. En même temps les villages des Esquimaux avaient changé d’aspect. Tandis que la mer se couvrait de glaces, une abondante quantité de neige était tombée sur le sol. Les tentes de peaux n’étant plus un abri suffisant, chacun d’eux se construisait un igloo, c’est-à-dire une maison de neige, sorte de dôme formé de blocs de neige que le froid soude bientôt ensemble, avec une très petite ouverture au ras du sol, par laquelle on ne peut entrer qu’en se traînant. Dans un coin de cette tanière, sur une couche d’herbes sèches, ou, à défaut d’herbes, sur la neige bien tassée, on étend les fourrures qui servent de lit de repos. Au centre brille la lampe de pierre, le seul meuble indispensable, car il éclaire et réchauffe tout à la fois. C’est sur la lampe que l’on fait fondre la neige pour se procurer l’eau nécessaire à la boisson ; c’est à la faible chaleur de cet ustensile que l’on fait sécher les vêtemens humides après une longue course en plein air. Sans sa lampe, l’Esquimau ne pourrait vivre. Aussi, lorsque l’huile vient à lui manquer, il est obligé d’aller à la chasse durant des jours et même durant des nuits entières jusqu’à ce qu’il ait tué un phoque qui lui fournisse de l’huile et des alimens. Chose bizarre, cette race d’hommes ne paraît pas comprendre que le bois ou le charbon lui fournirait aussi facilement la chaleur nécessaire à l’existence. Les débris de navires naufragés qu’ils recueillent de temps en temps sur le rivage ne leur servent que pour la confection des traîneaux ou quelquefois pour la construction de leurs huttes. On a découvert dans leurs parages des amas de houille que des navigateurs y avaient laissés depuis longtemps et auxquels les Esquimaux n’avaient jamais touché. Lady Franklin a fait déposer des provisions de charbon de terre en divers points des terres polaires où l’on supposait que son mari et ses compagnons pouvaient passer par hasard. Il est probable que ces amas seront retrouvés plus tard sans qu’aucun des indigènes qui