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maximes du Christ lui-même ; d’autres enfin, comme M. Stap, l’auteur d’un volume d’essais qui nous paraissent se distinguer à plus d’un titre des récentes études d’histoire religieuse[1], observent de préférence les premiers développemens du christianisme naissant, et s’efforcent, par des procédés et dans un esprit purement scientifiques, d’établir la nature réelle et la véritable portée de ses dogmes et de ses mouvemens primitifs. Le livre de M. Stap, les Origines du Christianisme, n’est donc pas une œuvre de polémique : c’est un travail de paix et de recueillement, un examen impartial et tout historique. L’auteur eût pu, comme Montaigne, ouvrir ses études par cette épigraphe : Ceci est un livre de bonne foi, car l’amour de la vérité préside manifestement à toutes les recherches de M. Stap. L’ouvrage se divise en six dissertations : la première, relative à l’autorité des traditions et des documens historiques, introduit le lecteur au fin fond de cette antiquité chrétienne où régnaient, en l’absence de tout sens critique, une bonne foi robuste, une crédulité naïve et une puissance d’imagination qui devaient produire des merveilles. Telle était la disposition des esprits, lorsque Eusèbe, au commencement du IVe siècle, entreprit le premier de réunir les annales éparses de l’église. Non moins naïf que ses contemporains, le compilateur semble avoir grossi l’histoire officielle et classique de cette période primitive au moyen de mythes, de légendes, d’erreurs fondues pêle-mêle avec la réalité. On n’a pas cependant ici à suivre l’auteur dans ses discussions ; il suffira de dire que la seconde étude de son livre, celle qui est consacrée à l’apôtre Paul et aux judéo-chrétiens, est de beaucoup la plus intéressante et la plus originale. Ce mot de judéo-chrétiens attire tout de suite l’attention : selon M. Stap, le christianisme primitif ne fut pour les continuateurs immédiats du maître qu’un judaïsme arrivé à son parfait épanouissement par l’avènement du Messie, une sorte de secte nouvelle au sein de l’ancienne théocratie juive, une réunion de véritables Israélites qui, sans renoncer à la loi mosaïque, s’accordaient à reconnaître que Jésus mis à mort et ressuscité était bien le Christ, celui qui, dans un bref délai, devait revenir prendre possession du trône de David et accomplir toutes les prophéties. Plus tard paraît Paul, l’apôtre des gentils, l’évangélisateur des incirconcis, et voilà dès lors deux évangiles, deux églises en présence : d’une part, l’église des apôtres Pierre, Jacques et Jean, demeurés fidèles au christianisme des circoncis ; de l’autre, l’église large et hospitalière de Paul, laquelle s’ouvre indistinctement aux fidèles et aux infidèles, aux gentils et aux Juifs. On ne lira pas sans intérêt dans l’ouvrage de M. Stap le récit de ce schisme et de cette lutte ; on y verra comment des principes universalistes de Paul, combinés avec les traditions judaïsantes, naquit l’église catholique. Ce chapitre sur Paul est, avec l’étude de l’Évangile de Jean, le morceau le plus important du volume après le chapitre qui concerne Paul. Le fond du livre est donc substantiel ; la forme seule est défectueuse : elle n’a pas encore cette netteté, cette souplesse d’allure dont a besoin par-dessus tout le langage de la critique et de la discussion.


JULES GOURDAULT.


V. DE MARS.

  1. Les Origines du Christianisme, par M. A. Stap ; Librairie internationale.