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nobles espérances. En 1791, au moment où Louis XVI venait d’accepter la constitution, il écrivait dans la naïveté de sa joie (et Mme de Montagu, en lisant cette lettre pleine d’illusions si vite dissipées, ne pouvait retenir ses larmes) : « Je jouis en amant de la liberté et de l’égalité du changement qui a mis tous les citoyens au même niveau, et qui ne respecte que les autorités légales. Je ne puis vous dire avec quelle délectation je me courbe devant un maire de village… Je mets autant de plaisir et peut-être d’amour-propre au repos absolu que j’en ai mis depuis quinze ans à l’action qui, toujours dirigée vers le même but et couronnée par le succès, ne me laisse de rôle que celui de laboureur. » Ses méditations dans la citadelle d’Ollmütz n’avaient eu d’autre résultat que de rendre sa foi politique plus profonde encore ; il ne regrettait aucun de ses actes, aucune de ses paroles, et le biographe de la marquise de Montagu nous le montre à cette époque tout disposé à « se rembarquer au premier jour, si l’occasion s’en présentait, sur les quatre planches un peu rajustées du radeau de 1791. »

Revenue à Paris en 1800, Mme de Montagu obtint la radiation de nombreux émigrés. « Des émigrés qui ne l’avaient vue et ne la connaissaient que de nom, ou du moins que par ses bonnes œuvres, lui tendaient les bras du fond de l’exil, comme à une personne à qui tout bien était facile. » Son retour au village de Plauzat fut une fête. A partir de ce moment, sa vie ne fut plus qu’un exemple de vertus privées et de dévouement à la famille, à l’amitié et à l’indigence. Elle mourut à l’âge de soixante-douze ans, en 1839.

Le livre consacré à la mémoire de Mme de Montagu offre une de ces lectures qui retrempent et fortifient l’âme. Le sentiment que fait naître cet ouvrage est celui qui doit présider aux jugemens sur la révolution. Il faut en effet qu’aux ardentes controverses dont cette terrible époque a été le prétexte ou la cause succède aujourd’hui une pensée de recueillement et d’apaisement. Au lieu de s’irriter, la postérité s’attendrit. Elle songe moins aux excès qui ont déshonoré la France qu’aux exemples d’héroïsme qui l’ont ennoblie. Concevant une admiration profonde et comme une sorte de gratitude pour les âmes d’élite dont les vertus ont relevé la nature humaine outragée, notre génération comprend la beauté de cette parole évangélique de Mme de Montagu, disant, à la nouvelle des massacres de septembre : « Le courage des victimes m’inspire des sentimens de joie et de reconnaissance qui surpassent l’horreur du forfait. »


I. DE SAINT-AMAND.


La Vie des steppes kirghises, descriptions ; récits et contes, par Bronislas Zaleskï[1].

Nous recommandons à tout le monde, mais plus spécialement à trois classes de personnes, aux artistes, aux curieux de recherches ethnographiques et aux blasés imaginatifs toujours en quête d’émotions nouvelles, le très remarquable album d’eaux-fortes qu’un gentilhomme polonais, déporté pendant neuf années dans les steppes kirghises, a publié, il y a

  1. Album in-4o, Paris, Vasseur, 1865.