Depuis ce moment jusqu’à l’heure suprême, on remarque dans le cœur de la jeune fille une gradation de douleur et de colère. Déjà l’idée du sacrifice a germé dans son âme. « On ne meurt qu’une fois, a-t-elle dit, et ce qui me rassure contre les horreurs de notre situation, c’est que personne ne perdra en me perdant. » Lorsque les girondins viennent chercher à Caen un refuge, elle croit voir en eux les sauveurs de la patrie. Elle n’a pas, comme on l’a dit à tort, d’amour pour Barbaroux, mais elle s’exalte à cette parole ardente et colorée. L’idée que pour terminer la guerre civile il suffirait de la main d’une femme s’empare de son imagination, de son cœur. Personnifiant dans un seul homme toutes les hontes, tous les crimes : « Non ! s’écrie-t-elle, il ne sera pas dit qu’un Marat a régné sur la France. » Au moment où elle va se mettre en route pour Paris, elle écrit à son père qu’elle se rend en Angleterre. « Je vous dois obéissance, mon cher papa ; cependant je pars sans votre permission, je pars sans vous voir, parce que j’en aurais trop de douleur. Je vais en Angleterre, parce que je ne crois pas qu’on puisse vivre en France heureux et tranquille de bien longtemps. En partant, je mets cette lettre à la poste pour vous, et quand vous la recevrez, je ne serai plus en ce pays. Le ciel nous refuse le bonheur de vivre ensemble, comme il nous en a refusé d’autres. Il sera peut-être plus clément pour notre patrie. »
La patrie ! c’est désormais sa seule pensée. Elle ne doute pas un seul instant de la légitimité de l’acte qu’elle est sur le point d’accomplir. « Si je suis coupable, écrit-elle avant de frapper Marat, Alcide l’était-il donc lorsqu’il détruisit les monstres ? mais en rencontra-t-il de si odieux ? » À cette âme intrépide rien ne paraît plus naturel que le dévouement qui va jusqu’à la mort. Le sacrifice de sa vie lui semble une chose toute simple. Elle s’étonne sincèrement de l’admiration qu’elle inspire. Elle a la conviction qu’en poignardant Marat elle a rempli un devoir sacré. Il se fait aussitôt en elle une sorte d’apaisement. Jamais il n’y a eu sur son visage plus de calme, plus de sérénité. Conduite à la prison de l’Abbaye, dans la chambre précédemment occupée par Mme Roland, — Mme Roland qui, dans ses mémoires, l’appelle une héroïne digne d’un meilleur siècle, — elle montre tant de résignation, tant de simplicité, tant de douceur que ses geôliers eux-mêmes en sont émus. « Je suis on ne peut mieux dans ma prison, écrit-elle le lendemain de la mort de Marat[1] ; les concierges sont les meilleures gens du monde ; . Je jouis délicieusement de la paix, ajoute-t-elle, il n’est point de dévouement dont on ne retire plus de jouissance qu’il n’en coûte à s’y décider[2]. » Elle renonce à la vie sans un regret, sans un murmure. Elle ne veut pas être pleurée. Elle ne demande qu’un prompt oubli. A ses yeux, « l’affliction de ses amis déshonorerait sa mémoire. »
Autant elle a été calme dans sa prison, autant elle se montre noble et