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vont commencer sont la triste suite de la guerre civile. Il faudra déplorer les arrêts prononcés contre les accusés, si par leur sévérité ils viennent à ressembler à des représailles inspirées par une passion de vengeance : l’intérêt politique de ces procès résidera surtout dans la fixation judiciaire des devoirs de fidélité qui lient les citoyens envers l’Union à l’encontre de ce droit de séparation dont la revendication a failli dissoudre la grande république. Dans cette épreuve judiciaire, ce qui doit être frappé de mort, c’est non des hommes, mais la doctrine des state rights poussée jusqu’au droit d’insurrection, doctrine destructive de la nationalité américaine. Quant à la réorganisation politique et sociale, à la reconstruction, comme on dit aux États-Unis, c’est une œuvre bien difficile, et qui ne sera pas promptement achevée. « La tendance et le désir manifeste de M. Johnson seraient d’organiser dans les états confédérés les élémens tels quels de gouvernement qui peuvent y subsister encore. Ainsi dans la Virginie, dans la Caroline du nord, il provoque l’élection de conventions qui auront à se prononcer sur les nouvelles constitutions à donner à ces états. Les difficultés de cette tâche se révèlent tout de suite. M. Johnson n’a appelé que la population blanche à choisir les membres de ces conventions. C’était peut-être la façon d’agir la plus conservatrice ; mais l’exclusion des noirs dans ces élections a excité les protestations violentes de l’ancien parti abolitioniste et de son orateur le plus populaire, M. Wendell Philips. Les dispositions témoignées par les électeurs de la Virginie et de la Caroline ne sont point encourageantes ; on assure que les électeurs virginiens repoussent de la candidature les citoyens qui, durant la guerre, étaient restés fidèles à l’Union, et ne portent leurs voix que sur des séparatistes. Il y aura bien des chocs, bien des tiraillemens, et on ne peut guère espérer d’arriver à la reconstruction des états qu’après de nombreux et lents tâtonnemens. Quelques hommes distingués, le général Sherman entre autres, comme il vient de le déclarer dans un intéressant exposé qu’il a fait de ses dernières opérations devant la commission d’enquête de la guerre, avaient cru tout d’abord que la reconstruction aurait pu se faire, en même temps que les capitulations militaires, dans un sincère élan de réconciliation cordiale. Le général Sherman assure que les généraux confédérés avec lesquels il a été en contact paraissaient avoir pris leur parti de la défaite de leur cause, et se montraient disposés à une réconciliation semblable ; mais ces beaux mouvemens, en admettant qu’ils puissent avoir des effets durables, ne sont possibles qu’à un moment : une fois l’occasion passée, avec la force d’impulsion qui lui était propre, elle ne se représente plus. Et ici l’occasion s’est évanouie devant cet attentat de Booth, qui a réveillé toutes les passions et toutes les haines, et qui a été si funeste au sud.

E. FORCADE.