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budgets qui représentent à peu près la différence entre nos recettes régulières et certaines et nos dépenses effectives. Or il y a dans le budget rectificatif des dépenses qui pourraient et devraient être prévues dans le budget ordinaire ; il y a aussi dans le budget extraordinaire des dépenses qui ont un caractère de constance et de suite : à des dépenses de cette nature, qui pourraient être prévues ou qui ont un caractère incontestable de durée, il devrait être pourvu, comme aux dépenses du budget ordinaire, par des ressources régulières, certaines, constantes. L’imprudence que M. Thiers reproche à notre politique financière, c’est que cette politique, pour couvrir ces dépenses, détourne d’abord de leur emploi naturel la totalité des ressources de l’amortissement et n’applique à solder le surplus que des ressources accidentelles, précaires et douteuses. Agir ainsi, c’est à la fois, par la suspension devenue permanente de l’amortissement, traiter injustement les créanciers de l’état et causer un dommage plus grave encore au crédit public. C’est en outre s’exposer à des déficits qui iront d’abord peser sur la dette flottante et ensuite sur le grand-livre. On peut présenter des chiffres légèrement différens et discuter sur des détails, mais voilà bien les traits généraux et incontestables de notre situation financière. Nous ne voyons pas pourquoi M. Thiers se plaint du système de comptabilité introduit par M. Fould ; ce système nous paraît essentiellement propre à bien montrer au public où sont les abus et les dangers, et à faire sentir à une chambre éclairée le point et le moment où sa responsabilité s’engage. Il groupe en masses, et conformément à leurs divisions naturelles, les élémens des budgets, et il laisse voir avec une pleine clarté les fautes commises soit dans l’exagération des dépenses, soit dans l’affectation des ressources. Il nous a toujours semblé qu’en adoptant ce système M. Fould avait voulu mettre nettement la chambre en présence de sa responsabilité. Pour que ce résultat fût atteint, il suffisait qu’un esprit attentif, ingénieux, pénétrant, voulût bien étudier et analyser le budget à la clarté de cette méthode. C’est ce que M. Thiers vient de faire avec une souveraine puissance d’élucidation. Ses derniers discours marqueront comme un événement dans notre histoire financière. Nous sommes convaincus que les démonstrations qu’ils ont apportées donneront a l’avenir, au ministre des finances d’abord, à la chambre ensuite, une grande force pour résister à des entraînemens dangereux qui, après l’expérience de ces quatre dernières années, deviendraient absolument inexcusables.

Ce grand débat financier est aussi pour la France un grand enseignement politique. Tous les esprits éclairés savent que la plénitude des prérogatives dont les assemblées représentatives doivent jouir n’est point la conception arbitraire d’une théorie, qu’elle est au contraire le résultat qu’une longue série de fautes, de luttes, d’événemens, a fait sortir de l’expérience des peuples modernes. Il est possible cependant que les générations contemporaines aient besoin de nouvelles leçons pour acquérir cette convic-