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les terres même, si désolées qu’elles soient, qui bornent la vue dans le lointain, se revêtent des plus riches teintes de l’arc-en-ciel. Toutes ces masses couvertes de neige se renvoient de Turne à l’autre une lumière éblouissante, et les rayons du soleil, réfléchis en tous sens, ne peuvent trouver nulle part de surface terne qui les absorbe ou les éteigne. De bizarres phénomènes optiques se produisent au milieu de ces jeux de lumière ; on voit au loin des objets renversés par le mirage, de même que dans les plaines brûlantes de l’Afrique ; la réfraction dessine des figures confuses et fantastiques sur les bords de l’horizon, et le soleil, même après qu’il est descendu depuis longtemps au-dessous de la limite des eaux, éclaire encore d’une illumination vague et diffuse le sommet dès montagnes et les nuages qui les surplombent. Devant un spectacle si brillant et si riche en couleurs, on oublie sans peine que le thermomètre est au-dessous de zéro.

M. Hall arrivait sans encombre le 8 août 1860 dans la baie d’Ookovlear, située vers le 63e degré de latitude, et à laquelle il imposa le nouveau nom de baie Grinnell en mémoire du généreux protecteur qui avait encouragé son expédition. Dès que le bâtiment eut jeté l’ancre, les Esquimaux du voisinage vinrent à bord sur leurs kias, petits bateaux très étroits qu’ils manœuvrent avec une prodigieuse habileté, et le voyageur put faire connaissance avec cette singulière race d’hommes au milieu desquels il avait projeté de vivre pendant quelque temps.


« Les sensations que j’éprouvais, dit-il, en arrivant dans une nouvelle contrée étaient naturellement très vives. La terre qui nous entourait, les habitans, les montagnes escarpées, les sommets couverts de neige, tout portait le caractère distinctif des régions de l’extrême nord qui devaient être le champ ultérieur de mes travaux. Ce ne fut que lorsque le vaisseau devint immobile que je me remis de cette première émotion et que je pus examiner nos visiteurs. Je n’oublierai jamais l’impression qu’ils produisirent tout d’abord sur moi.

« Un ingénieux écrivain a dit un jour des Esquimaux, à propos d’un livre sur les pays arctiques dont il rendait compte, que ce sont des êtres composites, hybrides, intermédiaires entre l’Anglo-Saxon et le veau marin, qui ont à l’intérieur la conformation de cet animal et en portent la dépouille à l’extérieur, par-dessus leur propre peau. Une section, transversale ferait voir qu’ils sont formés, par stratification alternante, de couches successives d’homme et de veau marin, d’abord l’animal à la surface, puis au-dessous le bipède, ensuite une nouvelle couche d’animal, de bipède, et enfin l’animal au centre. Cependant, si singuliers d’aspect qu’ils soient, ces sauvages sont enjoués et ont une grande propension à la gaîté. Quoiqu’ils habitent des tanières, les plus froides et les moins comfortables qu’on puisse imaginer, ils sont toujours sourians. Quand ils voient un homme blanc, ils