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la vaste, collection qu’il appela les Grands Écrivains de la France, Il choisit, pour la diriger, un des membres les plus savans de notre Académie des Inscriptions, M. Adolphe Régnier, l’élève et l’ami d’Eugène Burnouf, et lui demanda d’apporter dans la publication des auteurs français les habitudes de précision et d’exactitude qu’il avait prises dans la critique des textes antiques. Sous cette habile direction, l’entreprise a marché ; elle n’a pas même été interrompue par la mort, si regrettable de celui qui en avait eu la première idée. Ses successeurs ont regardé comme un devoir pieux et comme un honneur de la poursuivre. Aujourd’hui, grâce aux collaborateurs dévoués que M. Régnier s’est donnés, le Malherbe est achevé, le Corneille et le Sévigné sont tout près de l’être, le Racine, le Molière et le La Fontaine se préparent.

De tous ces écrivains, aucun n’avait plus besoin d’une révision sévère que Mme de Sévigné. La pauvre marquise avait été traitée par ses premiers éditeurs à peu près de la même façon que Pascal. Avant, déjà livrer au public, on l’avait mise à la discrétion d’un homme terrible, le chevalier de Perrin, qui, à la prière de la famille, s’était chargé de supprimer ses révélations indiscrètes, d’adoucir ou d’effacer ses propos trop libres, et même (Dieu le lui pardonne !) de lui apprendre le bon goût et le beau français. C’était un homme de parole, et il accomplit sa tâche en conscience. Pour réparer, autant que possible, le. mal qu’il avait fait, il a fallu consulter les autographes qui restent de Mme de Sévigné, étudier les copies manuscrites qu’on avait prises de sa correspondance avant qu’elle ne fût publiée, et les éditions partielles qui avaient précédé celle de Perrin… Le bon M. Monmerqué, auquel Mme de Sévigné devait tant, avait commencé ce travail ; il a été achevé par M. Régnier avec autant de zèle et plus de critique. Grâce a lui, nous possédons enfin de cette correspondance un texte aussi exact qu’on peut l’avoir aujourd’hui. Est-ce à dire qu’il nous ait révélé une Sévigné nouvelle ? Ce n’est pas la prétention. L’originalité de ce charmant esprit est si grande, que Perrin lui-même, malgré la peine qu’il avait prise, n’avait pas réussi à l’effacer, et qu’elle avait survécu à ses corrections maladroites ; mais cette originalité semble bien plus à l’aise et se montre avec plus d’éclat dans la nouvelle édition. Si Mme de Sévigné. n’y paraît pas changée au fond, on peut dire que les traits principaux de son caractère y ressortent davantage. Ce n’était pas, comme on sait, une de ces figures gracieuses, mais un peu vagues, qu’on rencontre si souvent dans le monde, et qui tirent une sorte d’agrément de leur indécision même : tout en elle est précis et saillant, elle a des contours nets et accusés, et je crois que les passages supprimés de sa correspondance sont précisément ceux qui les dessinent le mieux. Qu’on lise par exemple les conseils qu’elle