Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/974

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sainte, ce ne sont jamais des Kabyles purs, ne parlant que le kabyle, qui les ont produits : ce sont des Arabes venus de l’ouest, comme Bou-Barla, ou des Kabyles qui avaient étudié l’arabe dans les zaouïas, car la guerre sainte se prêche toujours en arabe avec des versets du Koran, la langue kabyle n’a pas même d’expression qui réponde au mot significatif de guerre sainte. Puisque le Kabyle pratique la religion musulmane, libre à lui de réciter des versets du Koran, mais il les récite aussi bien sans les comprendre, et pour nous c’est au moins tout avantage. Tant que le jeune Kabyle reste sociable envers le chrétien, c’est qu’il n’a pas fréquenté la zaouïa ; dès qu’il nous fuit et s’écarte avec méfiance, à coup sûr il a commencé à comprendre le Koran, et nous regarde déjà comme des infidèles que sa foi lui ordonne de haïr et de combattre. L’enseignement offert par les zaouïas ne saurait donc qu’être dangereux à notre cause ; il n’est que juste que nous l’entravions, et les écoles que nous élevons aujourd’hui dans le Djurdjura doivent nous y aider puissamment.

Certes l’instruction compte comme un moyen précieux d’assimilation, et il est à souhaiter qu’en Kabylie elle puisse se répandre un jour assez loin pour que les leçons de nos médecins y forment des médecins kabyles qui aillent témoigner dans leurs tribus de ce nouveau bienfait de la France ; mais une chose aussi importe, c’est que de toute école française établie au sein du Djurdjura la langue arabe soit proscrite le plus possible. Que la langue française remplace l’arabe dans l’instruction kabyle, que les écoles françaises tuent les zaouïas, voilà notre souhait. Les Kabyles qui auront besoin de quelques mots arabes pour leurs relations commerciales sauront bien les apprendre ; mais qu’au moins avec nous la génération qui grandit sache bientôt parler notre langue. Pourquoi même, afin d’exclure plus sûrement du Djurdjura l’usage de l’arabe, ne pas rompre un certain nombre d’officiers à l’étude de la langue et des affaires kabyles[1], comme on forme des officiers pour les affaires arabes ? On aura ainsi travaillé pour l’avenir, car l’organisation laissée aux tribus djurdjuriennes nous semble sérieusement destinée, dans l’intérêt de la France, à s’étendre avec le temps sur d’autres points de l’Algérie.

Oui, le succès de l’organisation du Djurdjura doit, croyons-nous, servir d’exemple et porter ses fruits. Cette organisation, toutes les tribus de la Grande-Kabylie ne l’ont pas encore reçue ; pourquoi maintenant ne pas la leur donner, afin de former là une unité kabyle vraiment complète ? On est déjà sur la voie ; les Beni-Khalfoun

  1. Plusieurs officiers s’adonnent déjà spontanément à l’étude de la langue kabyle, et la grammaire du lieutenant-colonel Hanoteau rend un vrai service a ceux qui s’y veulent préparer.