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kabyle a une sorte de budget communal formé par le produit des amendes et par les cotisations volontaires que de tout temps les djemâs se sont imposées pour faire face aux dépenses extraordinaires. Ces résultats paraissent donc d’une réalisation assez simple. Toutefois l’érection définitive de la dechra en commune conduira sans doute à la suppression d’un rouage administratif quelque peu superflu, et qui jurerait avec le régime municipal : nous voulons parler des amines-el-ouménas. Ces amines des amines ressemblent trop à de grands chefs, et à ce titre ne sauraient plaire aux Kabyles ; l’autorité française, qui peut voir en eux des agens utiles de transmission, doit se dire cependant que, s’ils la servent bien, ils sont sûrs de n’être pas réélus, et que, s’ils la servent mal, mieux vaudrait ne les pas avoir. Leur mauvais côté, du reste, est la pression qu’ils exercent sur les élections ; comme leur position est la plus enviée, toutes les élections d’amines s’opèrent en vue de l’élection de l’amine-el-ouména qui en doit résulter, et lorsque celui qui brigue cette haute situation est puissant, il fait élire les amines qu’il veut afin de se préparer ses propres électeurs. La suppression de l’amine-el-ouména enlèvera certainement un excitant sérieux aux élections, qui ne sont déjà que trop animées ; tout en laissant aux Kabyles leurs libertés, il faut ne pas leur donner l’occasion fréquente d’en abuser. Aussi la durée d’un an pour le pouvoir des amines nous semble-t-elle un délai court, fait pour ramener trop souvent le renouvellement des élections ; l’intérêt de la tranquillité publique demande que cette durée s’étende jusqu’à deux ou même trois ans ; notre autorité n’aura qu’à gagner à cette réforme, qui n’offrira rien non plus de contraire à la tradition nationale j car dans beaucoup de villages la durée du pouvoir de l’amine était jadis sans limite, et cessait alors seulement que la djemâ retirait sa confiance à son élu.

Nous avons insisté déjà[1] sur les différences profondes de caractère qui séparent le Kabyle de l’Arabe. De ces différences résulte une hostilité qui s’accuse par de curieux exemples : à l’école de Tizi-Ouzou, qui compte des fils de cavaliers arabes mêlés à des enfans kabyles, les deux camps sont très distincts, et volontiers se battent au sortir de l’école. En novembre dernier, nous avons vu nous-même, dans la vallée de l’Oued-Sahel, cinq cents Kabyles de Bougie et cinq cents Arabes de Sétif conduire ensemble un convoi de mille mulets chargés de vivres à destination de Bou-Saâda ; les Kabyles ne consentaient pas à marcher mêlés aux Arabes, ils voulaient aller en tête ou en queue du convoi, n’importe, pourvu qu’ils

  1. Voyez la Revue du 1er avril.