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vice-roi de Whydah, venu pour assister aux « coutumes ») un message par lequel je manifestais l’intention de n’assister à aucun sacrifice humain ; je proposais d’y substituer celui de quelques animaux inférieurs[1], et je déclarais que, si un seul meurtre était commis devant moi, je repartirais à l’instant même pour la côte. Il me fit répondre que je n’aurais point à prendre une mesure si violente, que parmi les victimes un certain nombre seraient amnistiées, et qu’on exécuterait seulement les criminels les plus endurcis, les prisonniers de guerre les plus dangereux. Il fallut bien se contenter de ces atténuations. Jusqu’alors on avait infligé aux visiteurs européens la vue des condamnés, qu’on promenait par les rues, et qui dans ces derniers temps étaient parfois bâillonnés de la manière la plus cruelle. Les exécutions avaient lieu sans qu’on prît le moindre souci d’épargner à nos oreilles les derniers cris de l’agonie, à nos yeux les dernières convulsions de la mort. Il n’était donc pas indifférent de constater et de faire admettre la répugnance que nous inspirent ces odieuses scènes… »


La seconde journée des « coutumes » fut remise au 30 décembre par une faveur expresse du monarque, ses hôtes se trouvant indisposés. Gelele fut encore le héros de la fête. Perché sur un énorme divan dans la construction duquel entraient plusieurs centaines de pièces d’étoffe, il ne fit guère que changer de toilette et danser tour à tour, la pipe toujours aux lèvres, devant le peuple émerveillé de sa magnificence et de sa vigueur. Après trente-deux pas différens, il revêtit son armure-fétiche, toute constellée de charmes et d’amulettes, et couverte de sang desséché. Ce fut comme le bouquet de la représentation, et M. Burton crut devoir saisir ce moment pour prier sa majesté de ne pas oublier une autre fois la cotte de mailles venue d’Angleterre. Peut-être eût-il été plus digne de ne pas répondre, par une démarche empreinte de quelque servilité, à ce qui pouvait être un témoignage de dédain.

Une distribution de cauries fut l’épisode le plus caractéristique de la journée suivante. Le roi, vêtu d’une toge vert clair, puisait à pleines mains, dans des corbeilles disposées à ses pieds, les chapelets de coquillages, — autant vaut dire les poignées de monnaie, — qu’il lançait ensuite au plus épais de la foule. En pareille occasion, grands et petits, mettant bas toute parure et toute pudeur, se ruent à l’envi sur le bakshish royal. Tués ou blessés dans l’immonde mêlée, on les estime heureux d’avoir pu risquer leur vie ou leurs membres pour la gloire du souverain. Celui-ci, vers la fin du tournoi, proposa aux étrangers d’y prendre part, et l’envoyé britannique, « n’étant pas en uniforme, » accéda sans hésiter, — c’est lui qui l’atteste, — à cette obligeante invitation. Il paraît même qu’il

  1. Si l’agent de lord John Russell eût insisté, on aurait peut-être déféré à ce vœu, M. Vallon en pareille circonstance obtint qu’on immolât une hyène à la place des captifs que le roi Gezo voulait faire décapiter en l’honneur de sa visite.