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quelque part qu’on eût à opérer en Algérie, on était sans cesse tenu en éveil du côté de ces montagnes, si voisines d’Alger et toujours menaçantes ; il fallait un cordon de troupes constant et sur le Sebaou et sur l’Oued-Sahel pour maintenir la partie de la Kabylie réputée conquise et surveiller les tribus restées indépendantes. Durant l’insurrection de 1864, la Grande-Kabylie n’a gardé que deux mille hommes, et la tranquillité de ce territoire a rendu à la colonie un service signalé en laissant disponibles des troupes qui purent se porter sans retard vers les foyers sérieux de la révolte. Veut-on d’autres résultats ? Le Djurdjura insoumis ne nous payait pas d’impôts et nous forçait à entretenir des bataillons sur ses frontières. Les contributions de guerre perçues en 1857 ont d’abord couvert tous les frais nécessités par la construction de Fort-Napoléon et le percement de la route, ces grands travaux qui ont assis notre domination matérielle ; depuis, le Djurdjura paie un impôt qui se solde avec une régularité parfaite, et s’est élevé l’an dernier, sans charger aucunement les populations, à près de 450,000 francs pour les trois cercles de Tizi-Ouzou, Fort-Napoléon et Dra-el-Mizan. Notre commerce avec les Kabyles croît en raison directe du leur avec nous ; plus ils nous apportent leurs produits, plus ils nous prennent les nôtres : au lieu de se renfermer avec méfiance dans sa montagne pendant la récente insurrection arabe et de s’y recueillir comme à l’approche des grands événemens, jamais le Kabyle du Djurdjura n’a voyagé davantage ; il semblait jaloux d’accaparer tout le commerce que les Arabes ne faisaient plus, et le cercle de Fort-Napoléon, à lui seul, a compté sur 77,000 âmes 10,000 émigrans qui ont paru sur nos marchés.

Un avantage inappréciable enfin qu’offre l’organisation des Kabyles du Djurdjura, c’est l’irresponsabilité de l’autorité française. Sont-ils mécontens d’un amine, nous leur disons : « C’est vous qui l’avez nommé ; ne le renommez pas aux élections prochaines. » Se plaignent-ils de la décision d’une djemâ, nous leur disons : « Vos djemâs sont les assemblées du peuple, une décision d’elles est donc comme votre décision à tous. » On ne saurait se figurer quelle garantie et quelle force morales la domination française puise dans cette irresponsabilité. Et qu’il nous soit permis d’émettre un sentiment qui trouve ici sa place : les mouvemens qui agitent aujourd’hui les Babors et les divers points de la Kabylie orientale semblent avoir surtout pour cause le mécontentement des populations contre les caïds et les cheiks que l’autorité française leur a donnés. Que ce mécontentement soit fondé ou non, la question n’est pas là ; tout au moins la responsabilité du commandement français cesserait-elle d’être engagée d’avance à défendre des chefs indigènes alors que,