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spécialement à la djemâ le jugement de ces questions. Jadis, on l’a vu, sur la simple dénonciation de la femme, le mari prenait son fusil et tâchait de tuer celui qui l’avait outragée. Aujourd’hui la vengeance personnelle est proscrite ; mais la dénonciation de la femme fait toujours foi, et suffit pour que la djemâ condamne l’accusé à une forte amende, et, dans les cas graves, au bannissement.

Un impôt de capitation, dit lezma, est payé à la France. La population de chaque village se partage, au point de vue de l’impôt, en quatre catégories. La première, composée des citoyens les plus riches, est imposée à 15 francs par tête, la seconde à 10 francs, la troisième à 5 francs ; la dernière n’a que des indigens et point de contribuables. C’est la djemâ qui régle la division en catégories ; le tamen recueille les impôts de sa kharouba, l’amine centralise ceux du village ; l’amine-el-ouména remet au chef-lieu du cercle ceux de la tribu : 18 pour 100 sont immédiatement prélevés pour constituer le budget particulier de la subdivision de Dellys et subvenir aux dépenses qui ont le caractère d’utilité communale[1] ; le reste de la lezma entre dans le budget général des recettes de l’Algérie.

Telles sont les seules modifications apportées au régime des populations kabyles par l’autorité française, qui ne trouble en rien d’ailleurs les tribus du Djurdjura dans le jeu libre de leur administration nationale. Qu’a-t-elle voulu avant tout ? Donner à la paix les plus solides garanties, respecter les droits publics et individuels des Kabyles pour exiger d’eux en retour qu’ils apprissent à respecter l’ordre et ne demandassent plus : sans cesse à leurs armes de trancher leurs différends. Supprimer les soffs, c’est chose impossible ; il entre, on le sait, dans l’essence du caractère kabyle que, sur toute question litigieuse, le pour et le contre fassent naître deux partis. Ces deux partis ou soffs, on les voit se dessiner aujourd’hui encore non-seulement lors des élections d’amines, mais dans tout procès ou toute affaire qui se discute au sein de la djemâ. L’autorité française n’a en rien d’ailleurs à souffrir de ces divisions ; son rôle se borne à les empêcher de finir par des luttes, ou à sévir quand l’ordre est troublé. Par extraordinaire, au mois de novembre dernier, le soff le plus faible d’une djemâ des Aït-Boudrar[2], froissé à propos

  1. Ces 18 pour 100 sont appelés centimes additionnels, parce que dans le reste de l’Algérie ils se perçoivent en outre de l’impôt ; par un privilège spécial, en Kabylie, ils y sont compris. On entend par dépenses d’utilité communale celles qu’exigent les voies de communication assimilées aux chemins vicinaux, la construction des caravansérails, des mosquées, écoles, puits, fontaines et abreuvoirs, la solde du personnel inférieur de l’instruction primaire, les frais d’assistance publique et de médicamens pour les indigens.
  2. La djemâ du village de Tala-Ntezert.