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et Gelele ajourna lestement à des temps meilleurs la prise en considération des griefs que l’agent de lord John Russell voulait formuler sur place. En se ménageant ce répit, le rusé monarque espérait peut-être obtenir certaines concessions étranges qui devaient rendre son hôte beaucoup moins imposant, et dès lors beaucoup moins persuasif. On va voir que le calcul était juste.


II

Un mot d’abord sur les « coutumes » du Dahomey. Ces rites sanglans reposent, selon M. Burton, sur un principe exclusivement religieux qui tend à les fortifier et à en prolonger la durée. Ils ne sont à ses yeux qu’une aberration de la piété filiale. Le souverain du Dahomey venant à mourir, son successeur croirait faillir à un devoir sacré, s’il ne donnait à l’ombre adorée un cortège solennel qui descend avec elle dans la « terre des morts. » Femmes, eunuques, soldats, bardes, tambours, rien n’y doit manquer. De là un véritable massacre qu’on a vu durer trois mois de suite et coûter la vie à cinq ou six cents créatures de Dieu. On appelle ceci les « grandes coutumes. » Celles que le roi Gelele consacrait en 1860 à la mémoire de son père Gezo se prolongèrent pendant trois semaines, et M.Bernasko, témoin oculaire, porte à deux mille le nombre des victimes, en y comprenant toutefois — pour un chiffre absolument hypothétique — les femmes exécutées à l’intérieur du palais. Les « petites coutumes, » renouvelées une fois par an, dérivent du même principe et répondent à cette idée que les premiers captifs faits au début d’une campagne, ainsi que tous les criminels dignes du dernier supplice, doivent aller grossir la suite du roi défunt. Comme le nom l’indique, elles n’impliquent pas à beaucoup près des immolations aussi nombreuses. Vers la fin de son règne, Gezo ne faisait plus tomber qu’une trentaine de têtes chaque année. Son fils, porté au pouvoir par ce qu’on pourrait appeler « le parti réactionnaire, » auquel les prêtres-fétiches appartiennent naturellement, se montre un peu moins avare de sang. Il se rappelle que son grand-père Agongoro fut empoisonné, à ce qu’on prétend du moins, — pour avoir manifesté quelque propension au christianisme, et que les plus puissans despotes africains, venant à choquer les préjugés des peuples qu’ils gouvernent, sont exposés à ce qu’on les « prie d’aller dormir » et à ce qu’on leur offre des « œufs de perruche, » — façons de parler quelque peu obscures, euphémismes sinistres dont le vrai sens pourtant ne peut guère embarrasser personne. Soixante-dix ou quatre-vingts victimes périssent durant les fêtes annuelles ; mais comme l’étiquette exige que toute démarche royale, tout incident de