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insensibles à un enseignement philosophique ou enveloppé de mysticisme : il leur faut la vue nette d’un enfer, la croyance à la prédestination les met à l’aise, elles ne peuvent se reposer que dans une sorte de fanatisme tranquille qui ignore toute finesse et toute critique. L’esprit d’analyse n’a encore rien défloré : on ne connaît ni règle ni mesure. Non-seulement l’habitant de l’ouest admire tout, mais il veut que vous admiriez tout avec lui. S’il s’extasie devant une église, un tableau, un monument, il ne soupçonne point qu’ils puissent vous paraître affreux et jouit naïvement du plaisir que vous n’éprouvez pas. Ouvert et généreux, il montre, il donne tout ce qu’il a, et son hospitalité a quelque chose de vraiment royal, car tout ce qu’il a touche se transforme, vu à travers son imagination. À Chicago, je fus conduit dans une chambre où l’on gardait quelques paquets poudreux de cartes, de journaux, de livres modernes : c’était la bibliothèque de la « Société historique de Chicago, » et je fus informé que le prince de Galles y avait été solennellement conduit pendant sa visite dans cette ville. Partout où j’ai visité des bibliothèques publiques, on a cru nécessaire de me dire : « Ceci n’est pas encore la bibliothèque d’Astor (la plus belle de New-York et des États-Unis), ni le British Muséum ; mais nous ne faisons que commencer. » La générosité, comme l’enthousiasme, ne connaît point de limites. Un jeune homme qui en quelques années a fait une grande fortune en distillant des eaux-de-vie vient de donner d’un seul coup un million de dollars à la ville de Chicago pour bâtir un nouveau théâtre. Depuis plusieurs années, l’observatoire de Harvard-College, près de Boston, possède un magnifique télescope, qui entre les mains de MM. Bond a rendu de très grands services à la science astronomique. Chicago a voulu dépasser Boston et vient de faire l’acquisition d’un objectif qui est d’un tiers plus large que celui de l’université du Massachusetts. Il s’est trouvé un riche marchand pour l’acheter, un autre pour en payer la monture, un troisième pour donner les autres instrumens, de sorte que rien ne manque plus à l’observatoire de Chicago qu’un astronome.

La confiance est, après l’enthousiasme, le trait le plus caractéristique des populations de l’ouest. Elles ne connaissent ni ces inquiétudes ni ces timidités qui ailleurs débilitent les hommes. Dans des pays où tout est encore à créer, où il reste tant à faire, tout homme est le bienvenu : il sent qu’on a besoin de lui, il peut débattre ses services et faire ses conditions. On dirait que chaque citoyen, en se levant, relit les statistiques officielles publiées chaque année par le gouvernement ; à tout moment il les récite : « nos ressources, nos exportations, notre territoire, notre blé, nos mines, » ces mots reviennent sans cesse dans sa conversation. Tout cela,