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vers les parcs voisins des abattoirs. Pendant quelques jours, enfermés entre des planches, les bœufs paissent l’herbe, sèche et rare de la prairie ; presque dépouillée aux abords de la grande cité. Quand le moment est venu, on les amène à l’abattoir. Des brins de foin qu’on leur présente les attirent jusqu’à la porte où ils sont attendus. Au moment où un bœuf dépasse le seuil, il est saisi par les cornes et entraîné par une corde qui s’enroule sur un treuil. Un coup de massue achève en un instant le malheureux animal. À ses jambes de derrière s’accrochent des harpons de fer ; il est enlevé, dépouillé de sa peau, vidé, fendu en deux. Les deux moitiés préparées sont portées sur une immense enclume de bois ; tout autour, les bouchers vigoureux font sans cesse retomber leur hache. À peine détachés, les morceaux sont saisis avec des crocs, salés et empaquetés dans des barils. Dans ces proportions, la boucherie prend quelque chose de grandiose. On voit les grands corps saignans avancer le long des poutres auxquelles ils sont suspendus ; les crocs où ils s’attachent glissent sur de petits rails en fer. L’un après l’autre, les immenses quartiers arrivent devant l’enclume où résonnent sans relâche les couperets affilés. Dans les journées les plus actives, en octobre et en novembre, on tue dans l’abattoir que je visitai jusqu’à 340 bœufs. Il y a place dans la vaste usine à viande pour 700 bœufs coupés en deux. Qu’on se figure les 1,400 moitiés pendues à de longues poutres parallèles ! 350 ouvriers sont sans cesse à l’ouvrage. Outre 340 bœufs, ils tuent encore et préparent chaque jour 1,800 cochons. Une longue cuve quadrangulaire remplie d’eau chaude reçoit les cadavres de ces animaux. Ils tombent un à un, après avoir reçu le coup de mort, dans le compartiment extrême où l’eau est presque bouillante ; ils y flottent quelque temps, puis les bouchers les saisissent, les nettoient, les raclent avec de petits chandeliers de fer. On n’a pu trouver d’instrument plus commode ni plus expéditif pour enlever les soies dures de ces bêtes. Le boucher, tenant le chandelier par sa partie allongée, frotte sans relâche avec le bord recourbé du support, et enlève les soies comme par longs copeaux. Pendant ce temps, les cadavres flottent encore sur l’eau, traversée par un incessant jet de vapeur ; le porc, dépouillé, se trouve bientôt pris dans une sorte de berceau de fer qui le retourne et le jette sur une table. Là on le nettoie de nouveau ; il prend la couleur rose et délicate des jeunes cochons de lait : des crocs entrent alors entre les tendons de ses membres postérieurs. L’animal est enlevé et pendu par les pieds. D’un seul coup de couteau, le ventre est fendu ; les mains plongent entre ses flancs et rejettent les intestins bouffis, la bile verdâtre, les rubans dentelés et graisseux des tripes. Le sang descend dans une rigole : rien n’est perdu, tout est