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par exemple est doublé d’un adonejan ; le meu, premier ministre, commandant de l’aile gauche, et qui est l’organe officiel du roi parlant à son peuple, peut être remplacé par un lieutenant appelé bi-wan-ton. L’armée féminine est organisée d’après les mêmes principes. Répartie comme l’autre en deux divisions, elle est commandée aussi par une double série d’officiers.

Mais le moment approche où le roi va faire son apparition. Au milieu de la cour, dans laquelle l’envoyé anglais a reçu l’autorisation de pénétrer, et sur une couche circulaire de silex pilé, disposée tout exprès pour eux, les ministres dahomiens se sont prosternés en poussant des soupirs contenus qui doivent révéler la présence d’un étranger parmi les hôtes du palais. Le capitaine Burton, chapeau bas, s’incline à quatre reprises différentes vers un personnage vaguement entrevu dans l’ombre projetée par un toit de chaume. Ce personnage, c’est Gelele (fils de Gezo), que ses sujets désignent aussi sous le nom de Dahomey-dadda, le grand-père du Dahomey.


« Dans la pleine vigueur de l’âge, à ce moment de la vie où la taille n’a pas encore épaissi au détriment des jambes, qui diminuent, cet homme a bien toute la mine d’un roi nègre, dont le cœur ne s’attendrit guère et dont la tête faiblit rarement. C’est le χάλλιστος άνήρ de cette iliade noire, un athlète de six pieds au moins, svelte, agile, buste large et flancs évidés. Le crâne est rond, bien assis. Une légère calvitie se manifeste au sommet de la tête, et, sur la place que les phrénologues assignent aux organes de la prudence, deux touffes de cheveux disposées en cocardes sont prêtes à recevoir les grains de corail, les petits cônes de bronze ou d’argent qui servent ici de parure. Les sourcils sont rares, la barbe est clair-semée ; la mâchoire un peu forte nuit à la régularité de l’ovale. La physionomie est dure, quoique franche, mais n’a rien de trop désagréable quand un sourire vient l’éclairer. Le roi laisse croître ses ongles, qui deviennent aussi longs que ceux d’un mandarin ; comme tous ses pareils, il tient à prouver qu’il se nourrit de viande et non pas de légumes ou de fruits « à l’instar des singes. » Les dents sont saines, bien qu’un peu noircies par le tabac ; les paupières sont enflammées, les yeux fatigués ; on y remarque un épaississement de la cornée qui pourrait bien aboutir à une cécité complète. Le rhum n’est pas responsable de ce fâcheux symptôme, car le roi n’abuse pas des boissons fortes ; la bière et le vin sont ses liqueurs favorites. L’éclat du soleil natal, les vents secs qu’on appelle harmattans, les réceptions interminables, l’usage excessif de la pipe, voilà les causes réelles de ce germe d’infirmité qu’a pu favoriser aussi le culte trop assidu de la déesse Vénus. Le nez est décidément retroussé, quasi-nègre, anti-aquilin, pas trop écrasé cependant, ni totalement dénué de parois intérieures… La petite vérole, fléau du pays, n’a pas épargné le souverain ; mais il n’a d’autres tatouages que trois petits coups de lancette parallèles et perpendiculaires, plus voisins du cuir