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de l’empire chinois. Tout cela pouvait être vrai jadis et ne l’est plus aujourd’hui. Une tyrannie stupide, qui voit la sécurité du monarque dans l’appauvrissement des sujets et sa grandeur dans les vexations gratuites qu’il leur impose, efface peu à peu tout vestige de la prospérité agricole qui florissait dans cette heureuse vallée. Restent les inconvéniens du site, qui tiennent à l’humidité des bas-fonds, à la chaleur malsaine de l’atmosphère, aux influences fiévreuses qui prédominent durant la saison des pluies.

Le capitaine Burton, installé dans la maison de l’hôte assigné aux voyageurs anglais, reçut le lendemain matin la visite de cet important personnage, à la fois médecin en chef et archi-sorcier du souverain. L’audience de réception était fixée pour le jour même, et l’obligeant Buko-No-Uro se hâtait d’en prévenir le capitaine ; mais cet empressement cachait le désir de savoir d’avance sur quels présens le prince pouvait compter, et de s’assurer si le fameux attelage arrivait ou non ; il s’agissait aussi de tout combiner pour que l’hôte du monarque fût rendu de bonne heure devant le palais, afin de lui faire faire antichambre le plus longtemps possible, car c’est là une tactique familière à ces roitelets africains, qui prétendent ainsi rehausser le prestige de leur puissance et montrer à quel point ils sont redoutés de tous. Trop délié, trop expert en finesses diplomatiques pour ne pas comprendre le but d’une pareille exigence, l’agent de lord John Russell ne crut pas cependant devoir s’y soustraire, et se laissa conduire une bonne heure trop tôt sur l’espèce de place où il devait assister au défilé des caboceers, préliminaire indispensable de la cérémonie qui allait suivre. Avant que la fête ne commençât, et pour faire prendre patience au diplomate, le roi lui avait envoyé d’abord une ample provision de liqueurs fortes, puis une demi-douzaine de klans (bouffons-sorciers ou griottes) chargés de le distraire par leurs monotones facéties et leurs grimaces hideuses. Enfin le signal est donné ; un bruit de voix s’élève, les tambours et les crécelles résonnent à l’envi ; les chefs paraissent à l’ombre de leurs parasols blancs ou armoriés, leurs tabourets sur le dos, le front orné de cornes en fer étamé retenues par une étroite lanière. Devant eux marche un frère utérin du roi qui a débuté par trois toasts à la santé de son souverain : les uns arrivent à califourchon sur de misérables rosses, et soutenus à droite et à gauche par deux subalternes ; les autres, en tête de leurs soldats, leur donnent le branle et se déhanchent en cadence. Celui-ci décharge sa carabine, celui-là brandit son chapeau de feutre. À des drapeaux de fantaisie, généralement décorés des plus sinistres emblèmes, — couteaux sanglans, têtes coupées, — se mêlent l’union-Jack et le drapeau de la France. Les achi (porte-baïonnettes)