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Rendez à mon oncle une vie qu’il vous avait dévouée et dont vous rendez la fin si infortunée, — et soutenez la mienne ; je la passerai comme lui à vous bénir… »

« DENIS. »

« de Francfort-sur-le-Mein, ce 11 juin. »


Il est impossible que le roi ne se rende pas à ces raisons ou ne soit pas touché par ces prières. Huit jours après, le 17 juin, arrive enfin le ballot impatiemment attendu ; le livre des poésies secrètes de Frédéric va être remis entre les mains de Freytag : Voltaire sera-t-il libre ? Pas encore, voici de nouveaux obstacles. Freytag, toujours effarouché, voyant partout des conspirations et des pièges, a écrit de nouveau à Berlin pour avoir des ordres plus précis, surtout des ordres plus sévères. Or le roi est absent, et Fredersdorff, à qui le résident de Francfort a fini par communiquer son tremblement perpétuel, n’ose prendre sur lui d’éclaircir l’affaire embrouillée par le pauvre homme. Il lui ordonne simplement de surseoir jusqu’à l’arrivée du prochain courrier. Rappelez-vous que les postes ne marchaient pas comme aujourd’hui, que les courriers prussiens ne partaient que deux fois la semaine, et qu’un message de Berlin mettait six ou sept jours avant de parvenir à Francfort. Surseoir après un délai si prolongé ! retenir encore l’illustre captif après qu’il a rempli ses engagemens ! Le conseiller Schmid, arrivé depuis peu, trouve la chose si exorbitante qu’il propose de passer outre, de s’en tenir aux premiers ordres, ou plutôt aux seuls ordres reçus de Berlin, c’est-à-dire de visiter le ballot, de saisir le livre de poésies, et de laisser Voltaire continuer son voyage. Freytag avait peur, il est vrai, de provoquer chez son prisonnier une explosion de colère bien légitime, mais il avait plus peur encore de ne pas avoir deviné les mystérieuses intentions du monarque. Le jour donc où Voltaire lui annonce l’arrivée du ballot et se déclare prêt à satisfaire aux conditions posées de part et d’autre, Freytag lui adresse l’agréable morceau que voici :


« Monsieur,

« Par un ordre précis que je viens de recevoir à ce moment, j’ai l’honneur de vous dire que l’intention du roi est que tout reste dans l’état où est l’affaire à présent, sans fouiller et sans dépaqueter le ballot en question, sans renvoyer la croix et la clé, et sans innover la moindre chose, jusqu’à la première poste qui arrivera jeudi qui vient. J’espère que les ordres de cette nature sont les suites de mon rapport du 5 de ce mois dans lequel je ne pouvais pas assez louer et admirer votre résignation à la volonté ; du roi, votre obéissance de rester dans la maison où vous êtes malgré votre infirmité, et vos contestations sincères de votre fidélité envers sa majesté.