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« Le soir du même jour, vers sept heures, il m’envoya le décret de sa nomination de chambellan (voir le paquet sous la lettre C), et ce matin un manuscrit de la main du roi (paquet D), qui était tombé, dit-il, sous la table pendant nos recherches. Je ne sais pas combien il attend encore de caisses, et comme j’ignore absolument si les papiers que je dois saisir sont nombreux ou non, le mieux serait d’envoyer ici un secrétaire du roi qui procéderait à une perquisition plus exacte, d’autant que je ne connais pas l’écriture de votre majesté.

« J’oubliais de dire qu’il a écrit en ma présence à son commissionnaire de Leipzig pour lui donner l’ordre d’expédier à mon adresse le ballot mentionné ci-dessus. Il m’a prié en même temps d’écrire au chambellan intime de votre majesté, M. de Fredersdorff, afin d’obtenir qu’on ne le retînt pas ici plus longtemps. Il voulait même que cette lettre fût envoyée par un estafette ; mais comme les frais de la journée s’élèvent déjà à trois louis d’or, je me suis servi de la poste ordinaire. »


Jusqu’ici tout va bien. Ce n’est vraiment pas un mauvais homme que ce diplomate prussien transformé en commissaire de police. Il est poli, compatissant, hospitalier, économe, un peu trop économe quand il s’agit d’une lettre urgente, d’une lettre qui intéresse le plus précieux de tous les biens, la liberté individuelle, si étrangement confisquée, mais enfin il n’est pas indifférent à la santé de son hôte ; il lui procure un bon médecin, il veut bien ne pas installer un corps de garde à sa porte, ayant, il est vrai, une médiocre confiance dans les grenadiers de Francfort, et finalement, lorsqu’il a mis sa cave au service de l’illustre victime, il est heureux de l’avoir consolée. Dieu veuille que cette courtoisie ne subisse de part et d’autre aucune atteinte !

Il est impossible pourtant de ne pas noter ici certaines choses qui ne présagent pas une issue favorable à un conflit engagé de la sorte : d’un côté la consciencieuse pesanteur de l’agent de Frédéric, de l’autre l’irritation bien naturelle de Voltaire, jointe malheureusement à un peu de mauvaise foi. La première visite s’est prolongée de neuf heures du matin à cinq heures du soir, huit grandes heures pour entrer en matière ! Comment ne pas prendre en haine un négociateur si impitoyablement scrupuleux ? Mais aussi comment ce négociateur ne serait-il point en garde contre les malices de Voltaire, quand il le voit se donner si vite un démenti ? Voltaire feint d’ignorer d’abord si le fameux ballot est à Hambourg ou à Leipzig, parce qu’il espère dépister ainsi les recherches et rester maître des poésies secrètes du roi ; dès qu’il apprend que l’arrivée de ce ballot est la condition de sa délivrance, il sait très bien que le ballot est à Leipzig, c’est à Leipzig qu’il s’adresse pour qu’on le lui expédie au plus tôt, et c’est de Leipzig en effet qu’il ne tardera pas à le recevoir. Ces contradictions n’avaient pas dû échapper à Freytag, car si le pauvre