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Freytag fera ouvrir en sa présence toutes ces malles, toutes ces caisses, sans oublier les coffres particuliers du voyageur, et saisira tous les papiers susdits, ainsi qu’un livre pareillement contenu dans les bagages. — Le chambellan ajoute : « Comme ce Voltaire est fort intrigant, vous aurez soin l’un et l’autre de prendre toutes les précautions pour qu’il ne puisse rien soustraire à vos recherches. Quand vous aurez tout fouillé, les objets saisis devront être empaquetés avec soin et envoyés à Potsdam à mon adresse. Dans le cas où Voltaire ne consentirait pas de bonne grâce à la saisie, on le menacera de l’arrêter ; si cela ne suffit point, on l’arrêtera en effet, puis, l’opération terminée sans complimens, on le laissera poursuivre son voyage. » Est-ce donc là un ordre mal rédigé ? M. Varnhagen a-t-il raison de vouloir absolument que Frédéric soit irréprochable en cette affaire, et que ses agens seuls, par leurs maladresses, endossent la responsabilité du scandale ? Mais qui ne voit la main du roi de Prusse dans cet ordre impatient, impérieux, formulé avec injure ? Il fallait, dit le méthodique Varnhagen, indiquer nettement le livre réclamé par le roi, au lieu de signaler en termes vagues de « nombreuses lettres et écritures[1], » dont la recherche allait prolonger une situation scabreuse, embrouiller les agens prussiens, exaspérer Voltaire et transformer une affaire secrète en un scandale européen. Eh ! mon Dieu, ce n’est pas la désignation plus ou moins précise du livre qui a troublé la cervelle de ce baron, c’est l’ordre même, l’ordre où se révèle si visiblement une personne despotique, l’ordre de fouiller et d’arrêter Voltaire au nom du roi de Prusse dans une ville libre, dans une ville où se faisait le couronnement des empereurs. Le résident devait penser que l’affaire était bien grave pour qu’on violât tant de convenances à la fois. Après cela, qu’un homme d’esprit s’en fût tiré plus habilement, que M. de Freytag ait été, non pas un scélérat, comme l’affirme Voltaire, mais un triple sot, comme M. Varnhagen l’a prouvé sans le vouloir, ce n’est pas nous qui soutiendrons le contraire.

Voyez-le à l’œuvre dès le premier jour. L’instruction du factotum de Frédéric était arrivée à Francfort le 19 avril ; sans perdre une minute, le baron propose un plan de campagne à son collaborateur, j’allais dire à son complice M. Schmid. « 1° Les gardiens de la porte de Tous-les-Saints et de la porte de Friedberg[2]seront chargés de surveiller avec la plus grande attention l’arrivée de M. de Voltaire ; non-seulement on lui demandera dans quel logis il se propose de descendre, mais on fera suivre immédiatement la

  1. Viele Briefe und Scripturen.
  2. Littéralement les écrivains de la porte, Thorschreiber, espèce de surveillans, employés d’octroi ou de police.