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Sur la droite se développe la large campagne, au milieu un aqueduc éclairé, dans le lointain des montagnes rayées et bleuâtres, marbrées de grandes ombres, et çà et là tachetées de villages blancs. L’air lumineux enveloppe toutes ces grandes formes ; le bleu du ciel est d’une douceur et d’un éclat divins, les nuages y nagent pacifiquement comme des cygnes, et de toutes parts, entre les briques roussies, sous les créneaux disjoints, au milieu du réseau des cultures, on voit se lever en bouquets des chênes-lièges, des cyprès, des pins, illuminés par le soleil qui penche.

Je suis resté une heure sur l’escalier du triclinium, sorte d’abside isolée qui borde la place. L’herbe y pousse et descelle les marches ; les lézards sortent des trous et viennent se chauffer au soleil sur le marbre. Nul bruit ; de temps en temps, une charrette, quelques ânes, traversent le pavé abandonné. S’il y a au monde un endroit propre à reposer les âmes fatiguées, à les assoupir insensiblement, à les caresser par l’attouchement de rêves mélancoliques et nobles, c’est celui-ci. Le printemps est venu : des lumières jeunes se posent avec un ton doux sur les assises de pierre ; le soleil nouveau luit avec une grâce inexprimable, et sa bonté se répand dans l’air attiédi. Les bourgeons sortent de leur enveloppe, et ces grands édifices de pierre, relégués dans un coin oublié de Rome, semblent, comme des exilés, avoir acquis dans leur solitude une sérénité harmonieuse qui atténue leurs défauts et augmente leur dignité. Au premier coup d’œil, la façade est choquante ; ses arcades coupées au milieu comme les appartemens trop hauts dont on fait deux étages, ses colonnes empilées, son balustre chargé de saints qui se remuent et s’étalent comme des acteurs pendant un finale, toute la décoration semble emphatique. Au bout d’une heure, les yeux sont habitués, on se laisse gagner aux impressions de bien-être et de beauté qui sortent de toutes choses ; on trouve l’église riche et solide, on pense aux processions pontificales qui à des jours réglés se déploient sous ses voûtes, et on les compare à quelque arc de triomphe érigé pour recevoir dignement le césar spirituel, successeur des césars romains.


Les rues, San-Andrea della Valla, Santa-Maria del Transtevero.

Il y a trois cent quarante églises à Rome ; tu n’exiges pas que je les visite toutes.

Ce qu’il y a de mieux, je crois, c’est d’entrer à l’église qu’on rencontre quand l’envie vous en prend, à Santa-Maria-sopra-Minerva, pour entendre un chant qui roule dans la solitude des nefs et voir une large ondée de lumière qui tombe des vitraux violets ;