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régularité froide et la correction grave du siècle, celle qui avec l’établissement des monarchies bien assises et de l’administration décente se répandit sur tous les arts de l’Europe. L’église à cette époque est, comme la royauté, un pouvoir incontesté, qui représente aux yeux de ses sujets avec dignité, sérieux et convenance. Mais ces jardins ainsi entendus conviennent mieux en Italie que chez nous. Les charmilles sont en lauriers et en buis, qui durent l’hiver, et qui l’été préservent du soleil ; les chênes-lièges, qui ne perdent jamais leur verdure, font en tout temps un ombrage épais ; les murailles d’arbustes vivaces arrêtent le vent. Les eaux qui jaillissent de tous côtés occupent les yeux par leur mouvement et conservent la fraîcheur des allées. Des balustrades, on aperçoit toute la ville, Saint-Pierre et le Janicule, dont la ligne sinueuse ondule dans la pourpre du soir. Pour un pape et des dignitaires ecclésiastiques qui sont âgés, graves, et se promènent en robe, ces allées régulières, cette décoration monumentale, c’est justement ce qui convient. Au printemps, il est doux de passer ici une heure, sous les rayons tièdes du soleil, devant la grande arcade de cristal que le ciel clair étend au-dessus des allées. On descend ensuite par de grands escaliers, ou sur des pentes adoucies, jusqu’au bassin central où cinquante jets d’eau partis des bords viennent rassembler leurs eaux bleuâtres, Tout à côté une rotonde pleine de mosaïques offre sous sa voûte l’ombre et la fraîcheur. Ces bruits, cette agitation de l’eau, ces statuettes, ce grand horizon en face de cette salle d’été, servent de distractions et reposent l’esprit fatigué par les affaires. Un jour on y ajoute un groupe, un autre jour on abat ou on plante un massif ; le plaisir de bâtir est le seul qui reste à un prince, surtout à un prince âgé, ennuyé par les cérémonies.


20 mars, Sainte-Marie-Majeure, Saint-Jean de Latran.

Mes amis me disent qu’il faut s’abandonner davantage, goûter les choses en elles-mêmes, ne plus songer à leur origine, laisser là l’histoire. Fort bien aujourd’hui, ils ont raison, mais c’est qu’il fait beau.

Ces jours-là, on va au hasard devant soi dans les rues, et on regarde là-haut l’admirable azur. Pas un nuage au ciel. Le magnifique soleil y luit en triomphe, et le dôme bleu de velours immaculé, tout rayonnant d’illuminations matinales, semble rendre à la vieille ville ses journées de fête et de faste. Les murs et les toits tranchent avec une force extraordinaire dans l’air limpide. À perte de vue, on suit l’arcade du ciel serrée entre les deux files de maisons. On avance sans y penser, et on trouve à chaque tournant des décorations