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aux cruautés traditionnelles et aux sacrifices humains. En 1846, quand la mission protestante se trouvait à Badagry dans la situation la plus critique, il lui vint amicalement en aide, et cela sans avoir, en sa qualité de négrier, à compter sur la moindre reconnaissance. Que la paix soit avec ses mânes, et puisse-t-il ne pas descendre dans la « terre des morts » hantée par les âmes du Dahomey, car je doute fort qu’il y fût reçu à bras ouverts ! »


Whydah est une agglomération de bourgades divisée, comme autrefois l’île de Malte, par nations distinctes : ainsi au nord-ouest et à l’ouest il y a la ville française (Ahwanjigo ou Salam), placée directement sous le contrôle du vice-roi ; puis viennent la ville brésilienne (Ajudo, Ajido ou Chacha) la ville anglaise (Cogbagi), provisoirement sans gouverneur, et que le roi voulut confier à la direction du capitaine Burton, réduit faute d’instructions suffisantes à décliner cet honneur ; enfin la ville portugaise (Dukomen), et la ville du marché (Zobeme), la seule entièrement peuplée d’indigènes. À chacune des quatre premières appartient un « fort » spécial, plus ou moins digne d’une pareille dénomination, et dont les annales se rattachent à l’histoire de ce pays fréquemment bouleversé. La forteresse portugaise jouit encore du droit d’asile, et les criminels ne peuvent y être arrêtés qu’avec le consentement des missionnaires qui l’occupent. Le fort anglais, — distinction passablement déshonorante, — est placé sous la protection de deux fétiches, Dohen et Ajaruma, désignés comme « défenseurs des hommes blancs. » Le fort français abrite le vicariat apostolique de Dahomey, dont la direction spirituelle est confiée à la récente congrégation des missions africaines[1]. Quelque intérêt néanmoins qui se puisse attacher à ces avant-postes de la civilisation européenne, les traces de paganisme ou pour mieux dire de fétichisme qui frappent le regard du voyageur descendu sur cette terre lointaine parlent bien plus haut à notre curiosité. Dans le bazar même, mainte boutique est entourée du zo vodun, longue corde fabriquée dans le pays et à laquelle, de six en six mètres, sont attachées de larges feuilles sèches. C’est un préservatif contre l’incendie. Ne le confondons pas avec l’azan, guirlande fabriquée avec les feuilles mortes du palmier ; ce talisman met à l’abri de toute sorcellerie l’homme qui le porte en collier. Devant les habitations, sentinelle protectrice, on trouve le vo-sisa, espèce d’épouvantail que forme un bâton surmonté d’une vieille calebasse vide, et revêtu d’herbes sèches, de feuilles de palmier,

  1. La maison mère est à Lyon, où réside le supérieur général, M. l’abbé Planque, de Lille. Le vicariat de Whydah comptait en 1864 quatre prêtres français et un espagnol, plus un frère mineur sur le point de repasser en France pour y solliciter l’ordination.