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royale ou comme un reposoir. Là, dans la main du Père éternel, est le célèbre globe, le plus grand morceau de lapis-lazuli que l’on connaisse ; là est la statue d’argent de saint Ignace, haute de neuf pieds. Un prêtre qui balaie le pourtour soulève les tapis pour me montrer les incrustations de marbre ; il passe sa main avec complaisance sur le luisant des agates ; il me parle avec regret des flambeaux d’or qui ont été enlevés pendant les guerres de la révolution ; il est heureux de servir un si bel autel, et le préfère à celui du chœur, qu’il juge trop simple. Il m’engage à revenir demain, pour voir de mes yeux la statue d’argent, haute de neuf pieds ; aujourd’hui elle est dans ses enveloppes : « Toute d’argent, monsieur, et haute de neuf pieds ; il n’y a rien de pareil au monde ! » Le paysan, l’ouvrier du XVIIe siècle, se découvraient avec crainte dans la maison d’un personnage si riche. Le gentilhomme, l’élégant s’y trouvait dans son monde, parmi des meubles aussi pomponnés et aussi fastueux que les siens. En outre il y rencontrait des femmes parées et écoutait de la bonne musique.

Tout cela fait partie d’un système. Dès qu’on parcourt les pays du midi, on s’en trouve pénétré. Je l’ai déjà vu en Belgique, dans le bon pays tranquille et docile regagné par le duc de Parme, dans l’église des jésuites d’Anvers, dans la décoration intérieure de presque toutes les vieilles cathédrales, dans cette célèbre chaire de Sainte-Gudule, véritable jardin, où l’on a mis des treillages, des feuillages, un paon, un aigle, toute sorte de bêtes, toute la ménagerie du paradis, Adam et Eve vêtus décemment, l’ange, qui veut être en colère, et qui a l’air riant. Toute chose jésuitique porte ainsi un air riant et de commande, réveille des idées de commodité et d’agrément : par exemple, au-dessus de la tête du prédicateur, un ciel de lit en nuages pareil à une alcôve ; plus haut encore, la Madone, une jeune demoiselle svelte et gracieuse, prête pour le bal, aux jolis bras minces. Le commentaire de ces décorations est l’Imago primi sœculi, superbe livre illustré qui est comme le manifeste du goût jésuitique. On y voit le jésuite en nourrice berçant le divin poupon, ou bien encore le jésuite pêcheur prenant les âmes au filet ; plus bas, des vers latins et des vers français en style de collège. Ce ne sont que gentillesses mignardes, jeux de mots précieux, agrémens de bel esprit, doucereuses fadeurs, bref tous les bonbons de la confiserie dévote.

S’ils ont fabriqué des bonbons, c’est avec génie ; la preuve est qu’ils ont reconquis de cette façon la moitié de l’Europe, et s’ils y sont parvenus, c’est qu’ils ont trouvé une des idées capitales de leur temps. À ce moment, le catholicisme devait pour subsister faire une volte-face ; c’est par eux qu’il l’a faite. Après la glorieuse