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les Grecs n’auraient à employer plus utilement leur énergie renaissante, et les souvenirs que nous recueillons ici serviront peut-être à le prouver.

Le Magne forme l’extrémité la plus méridionale de l’ancienne Eleuthéro-Laconie. Il s’étend au pied de l’imposant et sombre massif du mont Taygète ou Pentedactylon[1], dénomination sous laquelle les Grecs désignent cette grandiose montagne à cause de ses cinq sommets, escarpemens gigantesques dont le plus élevé, le mont Hélias, inaccessible et presque toujours couvert de neiges, est l’objet d’une terreur superstitieuse et de mille croyances légendaires. Borné à l’ouest par le golfe de Coron ou de Messénie, à l’est par celui de Kolokythia ou de Laconie, au nord par la Messénie, le Taygète et la splendide vallée de Lacédémone, le Magne a une étendue de quinze à vingt lieues du nord au sud, sur une largeur de six à huit lieues à sa base. À mesure qu’il s’avance vers la mer, il se rétrécit sensiblement et finit par se plonger dans les flots sous la forme d’une flèche acérée, dont la pointe extrême s’appelle le cap Matapan (ancien Ténare). Les pilotes ont surnommé ce cap « le tueur d’hommes » à cause des fréquens naufrages que causent les tempêtes sur les écueils de cette côte. Du haut du cap Matapan, l’on aperçoit, de l’autre côté du golfe de Laconie, son rival le cap Malée ou Saint-Ange. Ces deux promontoires aigus, environnés de récifs, battus par une mer toujours furieuse, semblent se porter un continuel défi et se disputer, suivant l’expression d’une poésie populaire, « la sinistre gloire de dévorer le plus de navires et de matelots. » Les côtes du Magne, rongées, découpées, fouillées profondément par les flots, trop fameuses dans les annales de la piraterie, offrent un aspect terrible et désolé. Des rochers à pic, complètement arides, torréfiés par un soleil brûlant, semblent interdire aux navigateurs l’abord de ce dangereux pays ; les anfractuosités du roc recèlent çà et là de petits villages, nids d’aigles suspendus sur les précipices, hérissés de forteresses anciennes, les unes démantelées, les autres encore entièrement debout. D’innombrables anses, souvent inabordables ou accessibles seulement à des navires d’un faible tonnage, assuraient un refuge aux écumeurs de mer, qui, du temps de Capodistrias, infestaient encore l’Archipel.

La physionomie de cette contrée n’est pas moins sévère à l’intérieur. Le district qui termine le Magne vers la mer offre une véritable image du chaos. On dirait que la main des cyclopes a bouleversé, ravagé ce coin du monde. De toutes parts, la roche brûlante et nue se dresse sous les formes les plus inattendues et les plus

  1. Cinq doigts.