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circulation de la vie que veulent assurer ceux qui demandent la liberté. Sans doute la liberté est belle à invoquer au nom des dogmes de la foi religieuse et des principes de la philosophie ; mais elle est bonne aussi à défendre avec les maximes du sens commun et au nom de l’utilité pratique la plus sensible. Les peuples modernes ne peuvent être gouvernés sagement, utilement, avec sécurité, avec une force et une prospérité durables, qu’en puisant sans cesse en eux-mêmes par les voies naturelles et libres les élémens de leur gouvernement. Il n’y a pas de mécanisme administratif agissant de haut en bas, ayant la prétention de choisir ses instrumens et de les diriger discrétionnairement, qui puisse égaler l’équilibre naturel qui naît du jeu des libres concurrences. Il n’est ni juste, ni humain, ni sage par conséquent de se mettre en travers et de retarder l’expansion des libertés politiques, car en agissant ainsi on frappe de paralysie, d’étiolement, d’impuissance des intelligences et des caractères que Dieu, la nature et l’histoire avaient faits et préparés pour donner tous les fruits de la vie, car en agissant ainsi on n’anéantit pas seulement des individus, on affaiblit la société tout entière et on débilite en peu de temps le pouvoir lui-même. M. Emile Ollivier a exprimé de bien justes sentimens lorsque dans la cause de la liberté il a plaidé la cause des générations jeunes à qui nous sommes tenus de transmettre la vertu virile d’une éducation civique, et lorsqu’il a signalé ce besoin vital du pouvoir qui, à mesure que la mort éclaircit les rangs des hommes qui avaient acquis l’expérience du gouvernement dans les agitations de la liberté, exige que cette forte école où se forment les esprits politiques ne demeure point plus longtemps fermée. En passant par la bouche d’un libéral qui est devenu l’ami du gouvernement au prix de sacrifices personnels qui ne sont compensés par aucune satisfaction ambitieuse, de tels conseils acquièrent une autorité nouvelle et particulière. Celui qui les donne n’est soutenu que par l’espérance de les voir suivis. Soit, cette espérance ne sera point une épreuve seulement pour M. Ollivier ; le sort qu’elle aura est attendu par le parti libéral tout entier comme une expérience décisive.

La situation de M. Thiers est à coup sûr bien différente de celle de M. Ollivier : elle prête une autorité plus imposante à la simple et belle harangue de l’inimitable orateur. M. Thiers a pris une trop grande et trop longue part aux affaires de la France, il a trop vécu, pour s’abandonner aux regrets amers ou aux espérances hâtives. Il n’a point voulu cependant, se séparer des destinées de son pays, et il a accepté avec dignité les conditions auxquelles il lui était permis de prendre part encore aux affaires publiques. C’est au nom d’une expérience dont la gloire rejaillit sur notre patrie et sur notre temps, au nom d’un complet désintéressement, au nom de la constance et de la modération d’une vie entière, que ses conseils se recommandent, et il les a donnés sous cette forme qui est à lui, et qu’on ne se lasse pas d’admirer. Quelle simplicité, quelle limpidité, quel bon