Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/778

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

maison de l’empereur, et ainsi de suite ; le récit des tribulations de cet inventeur est tout à fait vivant. « J’ai vu une machine. C’était une machine glorieuse entre toutes. Elle devait libérer des millions d’hommes de la partie la plus rude de leur tâche et accroître dans d’énormes proportions la masse des subsistances… Qui chargea-t-on, croyez-vous, d’examiner l’invention ? Un paysan ? Non. Un général d’artillerie… Cependant l’empereur avait approuvé l’idée de la machine. Il ordonna qu’on la construisît à ses frais… Or voici : on mit à la construire autant d’années qu’il eût été raisonnable d’y mettre de mois, après quoi on la jeta dans un champ où elle resta deux ans exposée à l’injure du temps. Quand elle fut bien rouillée, on se décida à l’essayer ; on reconnut alors qu’elle n’était pas construite de manière à fonctionner sérieusement. Elle avait dévoré une somme énorme, absurde. La chose en resta là. Le souverain perdit son argent, l’inventeur son temps, le peuple l’espérance d’un grand bien. »

L’Académie des sciences tient, comme on le pense bien, une place importante dans la polémique de M. Meunier. Il la relève du péché de paresse. Si elle possède dans son sein un grand nombre de savans éminens, elle n’exerce, comme corps, aucune influence sur le travail scientifique de la nation. Aussi les chercheurs, les inventeurs, désapprennent la route du palais Mazarin. « Avez-vous vu qu’on ait informé l’Académie de la création des moteurs à gaz par exemple, ou d’aucun des perfectionnemens apportés aux anciens moteurs, qu’on l’ait entretenue de ces admirables machines-outils qui ont porté si haut la puissance de l’atelier industriel, qu’on lui ait parlé de tant d’innovations réalisées dans nos moyens de transport, dans l’architecture navale, dans la télégraphie ? Lui a-t-on demandé son avis sur l’application de l’air comprimé au percement des tunnels et sur l’emploi de la vapeur en agriculture ? L’a-t-on avertie de l’invention des moissonneuses ? Sait-elle que la machine à coudre existe ? » Ici, comme d’ordinaire, il y a du vrai et du faux dans les reproches que M. Meunier fait à l’Académie. Qu’un grand mouvement se produise sans elle, que l’industrie des chemins de fer par exemple, remuant d’énormes capitaux, suscite des découvertes qui ne vont pas se faire consacrer au palais Mazarin, que des inventions naissent et grandissent toutes seules, sans appui officiel, il n’y a qu’à s’en louer, et il n’est point d’ailleurs exact de dire que l’Académie reste complètement étrangère à ce mouvement ; mais quand M. Meunier aiguillonne les secrétaires perpétuels qui devraient donner de l’intérêt aux séances de l’Académie, quand il évoque l’ombre d’Arago pour les rappeler à leurs devoirs, sa critique porte juste et sa voix prend une véritable autorité. Arago était le modèle du secrétaire perpétuel. « Arrivé longtemps avant la séance publique, il lisait attentivement, il annotait toutes les pièces de la correspondance. Quand, à trois heures, il prenait place au bureau, son thème était fait, sa leçon était apprise, car c’était un enseignement véritable, et souvent de l’ordre le plus élevé. Méthodiquement classées et groupées de manière à former une suite, un ensemble, soit qu’elles se complétassent