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et d’expériences de salon. M. de Parville a d’ailleurs, plus peut-être que ses concurrens, ce défaut commun aux vulgarisateurs, et qui consiste à accueillir comme vraie toute hypothèse qu’on peut facilement exprimer en langage ordinaire. Son livre est plein d’assertions tranchantes sur les questions les plus controversées. Il ne connaît pas le doute, et les difficultés disparaissent sous sa plume comme par enchantement. Qui ne croirait, par exemple, en lisant ce qu’il dit de la goutte, que cette maladie ne soit près d’être complètement vaincue ? Rien de plus simple en effet que de la combattre. La cause de la goutte est une accumulation d’acide urique dans les articulations. Chassons l’acide urique. Or tous les sels formés par l’acide benzoïque ont la vertu de dissoudre l’acide urique, qu’ils transforment en acide hippurique. Le goutteux n’a donc qu’à choisir parmi les benzoates de soude, de chaux, de magnésie, de potasse, de fer, d’ammoniaque, celui qui convient le mieux à sa constitution. Voilà l’acide urique dissous et éliminé. Il n’y a plus pour compléter la guérison qu’à fortifier l’organisme par une infusion de quinquina, de chamadrys ou de toute autre plante amère. C’est donc une affaire entendue, il ne restera plus de goutteux sur la terre que ceux qui voudront bien l’être. Dans un autre ordre d’idées, M. de Parville vient, après beaucoup d’autres il est vrai, et en s’appuyant de l’autorité d’un ingénieur distingué, apporter son projet pour la fertilisation des landes de Gascogne. Il s’agit de désagréger les collines secondaires des Pyrénées par une chute d’eau empruntée aux sources élevées de la Nesle. La roche diluvienne, broyée par un torrent artificiel, donnera un limon que des canaux pourront répartir sur 1,200,000 hectares de landes ; ces plages stériles formeront en moins de soixante ans la plus riche province de France. Ce n’est pas que les théories que M. de Parville, comme les autres vulgarisateurs, aime ainsi à présenter n’aient souvent pour origine un fait vrai ; mais ce fait originel, simplifié outre mesure, dépouillé de toutes les circonstances qui l’accompagnent dans la réalité, donne des conséquences ou radicalement fausses ou manifestement exagérées.

M. Victor Meunier, au début de son livre la Science et les Savans en 1864, se rend à lui-même le témoignage que cet ouvrage ne fait double emploi avec aucun de ceux que ses confrères du feuilleton scientifique ont pris l’habitude de publier à la fin de chaque année. C’est qu’en effet M. Meunier se distingue par des qualités et par des défauts qu’on chercherait en vain chez ses concurrens. Et d’abord c’est un écrivain. Que ses idées nous choquent ou nous charment, nous sommes séduits par son style chaud, coloré. Nous nous trouvons en face d’un homme passionné, dont l’enthousiasme, dont la colère s’expriment dans une langue nerveuse. M. Meunier est tour à tour, et souvent même à la fois, un apôtre et un polémiste.

Commençons par l’apôtre. M. Meunier a une foi ardente dans les progrès de la science et dans son action sur l’avenir du monde. Cette foi est d’ailleurs inséparable de ses convictions politiques. On retrouve tout entier dans le vulgarisateur scientifique d’aujourd’hui l’ancien rédacteur de la