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l’érige en principe. Ainsi naissent tant de théories trompeuses dont la presse scientifique leurre le public.

On ne saurait trop le répéter aux vulgarisateurs, l’essentiel n’est pas de raconter des faits, même jolis et intéressans, mais d’apprécier et de choisir les matériaux qu’ils offrent au public. Qu’ils soient sobres d’hypothèses. Il semble que depuis quelque temps il y ait réaction contre cette sage méthode qu’on nous a prêchée depuis cinquante ans, et qui consiste à accumuler des observations soigneusement vérifiées, sans essayer des synthèses prématurées. L’impatience gagne beaucoup de gens. Sur un détail minime, ils veulent construire de vastes ensembles. Tel, avec une expérience de spectroscopie, fait la théorie complète du soleil. Tel autre, en comparant les cheveux de quelques Arabes et de quelques nègres, refait la géologie. Des vérités intéressantes deviennent presque des erreurs, parce qu’on en tire des conséquences forcées. Le vulgarisateur doit se défendre contre cette tendance et faire œuvre de saine critique.

Le livre de M. Figuier peut nous donner un autre enseignement. À quelle classe de lecteurs s’adresse cet annuaire ? Est-ce à ceux qui, à peu près étrangers aux sciences, veulent acquérir sur quelques points principaux quelques idées sommaires ? Est-ce au contraire aux gens spéciaux qui connaissent assez exactement une ou plusieurs parties de la science ? M. Figuier prétend sans doute écrire pour les uns et pour les autres. C’est pour les premiers qu’il essaie de prendre de temps en temps un ton enjoué ; mais ses grâces paraissent un peu lourdes, ses plaisanteries, qui ne sont que dans les mots et qui jurent avec le fond des choses, manquent ordinairement leur effet. C’est aux autres que s’adresse cette quantité de faits, réunis de toutes mains et confusément juxtaposés dans des pages compactes ; mais, nous l’avons dit, tous ces renseignemens n’offrent point assez de garanties d’exactitude. Ainsi l’auteur ne réussit pas à être assez agréable pour le gros public, ni assez vrai pour les gens instruits. Aussi bien n’est-ce pas chose aisée que de faire un recueil qui satisfasse à ces deux conditions. Sans doute nous connaissons des livres qui peuvent à la fois ravir les simples et instruire les savans ; mais ils sont rares. Les rédacteurs d’annuaires feraient peut-être sagement de ne se proposer que l’une de ces deux fins, ou du moins d’incliner résolument de l’un ou de l’autre côté. Ceux qui désirent cependant que leur livre puisse intéresser tous les lecteurs arriveraient peut-être à ce résultat, s’ils divisaient le volume en deux parties. La première contiendrait les généralités, les vues d’ensemble, les idées, les faits principaux sans détails arides ; nous ne tiendrions pas d’ailleurs à y rencontrer ce ton badin que prennent beaucoup de vulgarisateurs sous prétexte d’enduire de miel, pour les lèvres de la foule, les bords du calice amer ; un ton ferme, une exposition lucide nous suffiraient. La seconde partie contiendrait sous forme de tableaux, de notes, de mémoires spéciaux, de pièces justificatives, le détail soigneusement contrôlé